31 janvier 2012

Sport de filles

Gracieuse, une jeune femme au caractère bien trempé, passionnée par les chevaux, se fait engager comme palefrenière dans un haras de dressage. Dirigée par une femme autoritaire qui exploite un entraineur allemand de grande renommée, Gracieuse ne veut bientôt qu'une seule chose : remonter sur un cheval à elle.
Après Saint-Cyr et Basse Normandie, Patricia Mazuy réalise un nouveau film écrit par Simon Reggiani. Installant son intrigue dans la dure loi du monde équestre, la réalisatrice signe un film plutôt singulier : aéré dans ses plans larges (quoi qu'un peu redondants dans les travellings), porté par un personnage déterminé et antipathique, Sport de filles ne s'installe dans aucun sentier battu, ni même dans celui d'une forme télévisuelle. La liberté de la mise en scène se ressent à tout instant. Sans cesse dans l'exploitation de dualités (Gracieuse qui n'a de grâce que le nom, la musique rock'n roll sur un film qui ne l'est pas vraiment), Mazuy semble s'intéresser non pas à une mais plusieurs thématiques. Si l'obstination de sa protagoniste prend le pas sur toutes les autres, Sport de filles décrit également de façon précise le milieu du cheval dans sa réalité économique et compétitrice, de même que Basse Normandie faisait déjà flirter le cinéma avec sa dépendance financière. Un pied dans l'argent, l'autre dans l'art ; en exploitant le dressage équestre déjà cinégénique par essence, Mazuy semble vouloir aller au-delà du « film de chevaux », en captivant autant les amateurs que les néophytes.
Malgré une presse dithyrambique pour une partie, c'est chose plus ou moins réussie : assez low cost dans sa mise en scène, le film brille surtout grâce à quelques séquences magnifiques qui viennent attirer l'attention des remplaçants souvent laissés sur le gradin. Car contemplatif, le film percute réellement lorsqu'il épouse jusqu'au bout le point de vue de son héroïne, elle même caractérisée comme un cheval incontrôlable. Sorte de pirate accompagné de musique rock, à la conquête de la gloire, c'est lorsque Gracieuse (Marina Hands, convaincante) emmène le film dans le western insolent qu'elle est la plus intéressante. Autrement, on peut être déçu du manque de nuances dans ce personnage au caractère de cochon, dont la passion obsessionnelle pour les chevaux reste (malheureusement ?) un mystère. C'est dommage tant la relation avec le père aurait sans doute pu raconter des choses de ce personnage. Mais on reste finalement en surface, preuve faîte avec ce personnage amoureux, pas attachant non plus et sans aucune ambition. C'est finalement Bruno Ganz, lassé jusqu'à saturation, qui crève l'écran en virtuose rabougri par une marâtre froide comme la pierre (Josiane Balasko, étonnante).
Sport de filles est un film curieux qui ravira les amateurs de dressage dans son réalisme, pourra convaincre certainement les autres de par son originalité certaine. On est toutefois en droit de rester sur sa faim devant sa dureté platonique qui sert un drame finalement peu agréable et distant.


Réalisé par Patricia Mazuy
Avec Marina Hands, Bruno Ganz, Josiane Balasko
Film français | Durée : 1h41
Date de sortie en France : 25 Janvier 2012

26 janvier 2012

The Descendants

Matt King est à un tournent de sa vie. Plongée dans le coma après un accident, les derniers jours de sa femme sont comptés. Tandis qu'il se rapproche de ses deux filles Scottie, dix ans, et Alexandra, dix-sept ans, Matt apprend que sa femme le trompait et envisageait de divorcer. Il part alors à la recherche de l'amant.
C'est le nouveau film du réalisateur de Monsieur Schmidt et Sideways. Déjà récompensé à plusieurs reprises (notamment l'Oscar du meilleur scénario en 2005 pour Sideways), Alexander Payne signe avec The Descendant un drame doux-amer, emmené par un George Clooney épatant. Déjà sacré Meilleur film dramatique aux Golden Globes 2012 et en bonne voie pour les prochains Oscars, le film est une vraie réussite. Malgré son sujet, Payne ne s'aventure pas de manière éprouvante dans le genre du drame. En épousant la légèreté et la retenue, il évite un pathos exacerbé sans toutefois renoncer aux émotions fortes. La sobriété de la mise en scène se marie parfaitement avec ce partis pris : images léchées, souvent fixes, l'esthétisme du film s'imbibe dans la richesse du cadre hawaïen. Les quelques mouvements d'appareil sont millimétrés et frôlent parfois le beau pour le beau mais qu'importe : le réalisateur semble avoir comme principal soucis d'ancrer réellement le film dans son empreinte géologique. Magnifiquement mis en image, Hawaï et ses îles sont comme un personnage à part entière, dont la beauté apparaît comme un oxymore vulgaire au drame s'y déroulant. Mais ce drame est apaisé comme cette nature qui semble hypnotisante (magnifique séquence de la découverte du domaine de la famille), presque au repos, si bien que la colère laisse rapidement place au pardon et au deuil serein. The Descendants, et c'est sans doute sa grande prouesse, ne se contente pas de provoquer la compassion du spectateur. Payne élabore avant tout le parcours d'un homme soudainement seul et face au miroir, un homme qui semble de ne pas être devenu celui qu'il aspirait être (on pense de cette même façon à Miles Raymond dans Sideways) ; et qui, poussé au bilan, ouvre un peu plus les yeux sur l'hypothétique sens de sa vie. Hédoniste, surtout à hauteur d'homme, de ce fait The Descendants touche beaucoup sans jamais trop appuyer. Du cri de douleur étouffé et sous-marin d'Alexandra, au premier geste affectif du grand-père perçu au travers d'une porte, le film effleure de très belles émotions, toutes en pudeur et spontanéité. « Tout arrive comme ça » dira même l'amant désemparé : la vie, chez Payne, semble être d'autant plus précieuse qu'elle est mouvante, hasardeuse, dans le bon comme le mauvais.
Bien entendu difficile de parler du film sans évoquer son casting étoilé. Shailene Woodley, une jeune découverte à suivre certainement de près, est brillante. Mais c'est évidemment un George Clooney bouleversant qui crève la toile. Jamais dans la surenchère, tout en finesse, il donne à Matt King une sensibilité vibrante en faisant oublier ses traits de star mondiale. Il porte le repos et la sagesse qui définissent le film tout entier. Et l'emmène littéralement vers de beaux et émouvants horizons.


Réalisé par Alexander Payne
Avec George Clooney, Shailene Woodley, Amara Miller
Film américain | Durée : 1h50
Date de sortie en France : 25 Janvier 2012

25 janvier 2012

Le Voyage extraordinaire (et Le Voyage dans la lune)

Les cinéphiles ne peuvent passer à côté de Georges Méliès : pionnier du cinéma fantastique et du cinéma tout entier, le prestidigitateur parisien a, plus que quiconque, innover le septième art du début du XXème siècle. Avec ses fééries, les commentateurs lui accordent nombre de découvertes : la récit fantastique au cinéma (qui contrastait alors avec le naturalisme des vues Lumière), les effets spéciaux (ce que Méliès appelait alors les « trucs »)... mais aussi et surtout l'invitation à l'évasion. Souvent plagié dans son époque, maître incontesté de plusieurs héritiers encore aujourd'hui, Georges Méliès a sans doute été le premier à divertir et faire rêver son public. Si les grandes firmes françaises le tueront économiquement à la veille de la guerre, notamment Pathé avec laquelle il signa un contrat qu'il ne pouvait honorer, et si l'homme sombra peu à peu dans le désespoir, rien enlève à son prestige.
Du moins, c'est ce que pense fortement Serge Bromberg, déjà restaurateur de L'Enfer d'Henri-Georges Clouzot. En compagnie d'Eric Lange, les deux hommes se sont lancés dans une quête des plus passionnantes : restaurer l'unique copie couleur connue du chef d'œuvre ultime de science-fiction de Georges Méliès. Le Voyage dans la lune n'avait à priori aucune version colorisée à la main. A la découverte d'une vieille bobine dégradée du film, alors bel et bien colorisée, Bromberg et Lange n'hésitent pas une seule seconde à se lancer dans un travail fastidieux de restauration.
Le documentaire Le Voyage extraordinaire s'intéresse finalement assez peu à cette restauration, en ne s'y attardant que dans la seconde partie. La première est consacrée à un panorama pédagogique retraçant la vie du cinéaste Méliès. Croisant des archives précieuses à des commentaires de réalisateurs contemporains (notamment Jean-Pierre Jeunet ou Michel Gondry), le film suit chronologiquement le travail de Méliès et en montre toute l'ingéniosité et l'apport considérable pour le cinéma. Narré par la voix off entrainante de Bromberg, le documentaire est aussi instructif qu'attractif. Mais c'est surtout lorsque l'on s'intéresse à la restauration que le documentaire passionne : travail d'orfèvre de manipulation, innovations techniques supervisées par Tom Burton, le directeur américain de Technicolor... Le spectateur découvre et suit ce lent processus brièvement raconté (une dizaine d'années !), fait avec une passion que le documentaire communique assez bien avec son spectateur.
Ce travail fastidieux de rénovation sert finalement une redécouverte passionnante du Voyage sur la lune de 1902. Les couleurs chatoyantes donnent encore plus de fantaisie au film. La bande-son, signée par le groupe Air, est étonnante et osée. Loin de créer un schisme anachronique, elle modernise et confère une immortalité encore plus sensible au chef d'œuvre de Méliès. Cependant, elle efface la place du bonimenteur, assez utile pour la compréhension complète du Voyage sur la lune (et présent dans d'autres versions anciennes du film).
Présenté à l'ouverture du dernier festival de Cannes, rejoint par l'adaptation d'Hugo Cabret par Martin Scorsese, ce programme alliant documentaire et œuvre restaurée est un joli trésor pour les amateurs de cinéma primitif ou bien pour les simples curieux cinéphiles avides d'histoire. Une chose est sûre, en lui rendant encore hommage, le XXIème siècle a raison de ne pas oublier le grand Georges Méliès.


Réalisé par Serge Bromberg et Éric Lange
Œuvre originale de Georges Méliès
Film français | Durée : 1h20
Date de sortie en France : 14 Décembre 2011

24 janvier 2012

L'Amour dure trois ans

Première expérience à la réalisation pour Frédéric Beigbeder, qui adapte ici son propre roman éponyme. Malgré quelques bifurcations (notamment la présence du livre dans le film), l'histoire reste celle de Marc Marronnier, un critique littéraire le jour et chroniqueur mondain la nuit. Véritable homonyme assumé de Beigbeder, ce personnage essuie un divorce et écrit alors un roman sur la futilité du sentiment amoureux. Mais bientôt, il rencontre Alice, la compagne d'un cousin, pour laquelle il s'éprend dès les premiers instants. Trahisons, non-dits, marivaudages... le jeune mondain accompagne le spectateur dans sa vie banalement compliquée, dans laquelle la question de l'amour prend toute sa place et trouve peu à peu des réponses.
Il faut le dire, L'Amour dure trois ans se regarde avec le sourire, et parfois même des rires ponctuels. Beigbeder, connu dans la sphère médiatique pour sa désinvolture presque élégante, assume totalement ici le genre de la comédie. Bon choix pour ce premier film, certes assez léger (si le ton reste familier, on s'éloigne du politiquement incorrect de 99 francs) mais qui évite de tomber dans la prétention que l'on pouvait craindre au départ. L'Amour dure trois ans est une vraie comédie romantique qui, plus que de l'assumer, joue avec l'artificialité du genre et ce dès un générique kitsch type super 8. Le réalisateur semble avoir trouvé le bon ton, car si son film ne prétend pas être plus que ce qu'il n'est, il garde néanmoins un second degré cynique, une ironie latente ; bref, une certaine marque de fabrique que l'on ne connaissait alors qu'à l'homme de littérature et que l'on découvre agréablement au cinéma.
Les références pleuvent mais (heureusement) elles ne cimentent pas les bases du scénario. A la fois populaire et critique, le film de Beigbeder plaît car il sait se faire plaire : dialogues savoureux, regards caméra participatifs à la Honoré, effets « pop » avec des incrustations à la Klapisch... C'est aussi grâce à un Gaspard Proust inspiré que le réalisateur parvient à trouver ce bon ton, ce dernier ayant trouvé le compagnon de jeu parfait pour incarner ses propres névroses. Louise Bourgoin, magnifiée de la tête jusqu'aux talons (on ne verra pas ses pieds en forme de p'tit Lu) est joliment fantasmée dans sa mise en image. Les seconds rôles aussi ont la part belle de Joey Starr, de nouveau étonnant, à Valérie Lemercier.
Très contemporain, parfois limite dans ses effets scintillants et souvent dans la caricature (le couple du libertin et de la nymphomane...), L'Amour dure trois ans reste avant tout une comédie rafraichissante, assez jouissive lorsqu'elle dépeint un milieu mondain subitement hédoniste après trois shooters mais qui s'émut réellement avec du Michel Legrand, ou lorsqu'elle divague dans ses délires décalés. Finalement, un film qu'on voudrait conseiller à ses amis.


Réalisé par Frédéric Beigbeder
Avec Gaspard Proust, Louise Bourgoin, Joey Starr
Film français | Durée : 1h38
Date de sortie en France : 18 Janvier 2012

20 janvier 2012

Millenium : Les hommes qui n'aimaient pas les femmes

Mikael Blomkvist est journaliste pour le magazine Millenium. Condamné pour diffamation, il se retire du métier. Henrik Vanger, grande figure de l'industrie suédoise, fait cependant appel à lui afin d'enquêter sur la disparition de sa nièce Harriet Vanger, persuadé que cette dernière a été tuée par l'un des membres de sa famille. Dans son enquête, Blomkvist rencontre alors Lisbeth Salander, une enquêtrice hors-pair au passé déchirant. Tous deux découvrent bientôt la diabolique famille Vanger, et cherchent parmi elle l'assassin d'Harriet.
Après l'adaptation cinématographique danoise de Niels Arden Oplev, David Fincher fait le choix étonnant de s'attaquer lui aussi à la saga de Stieg Larsson pour une version américaine. Si l'entreprise peut surprendre voire agacer, le nom de Fincher apportait tout de même une certaine sérénité au projet. Le cinéaste américain, l'un des plus talentueux de sa génération, montre une nouvelle fois avec ce Millénium l'assurance de son cinéma, singulier et redoutablement efficace. Difficile de ne pas penser à Seven mais surtout à Zodiac dans cette enquête tortueuse, labyrinthique, qui dans le fleuve de sa narration (2h40) ne perd jamais son suspens. Pourtant, l'exposition a étrangement du mal à prendre : outre son générique titanesque comme toujours chez Fincher, la situation peine à trouver son rythme. Le soucis de fidélité à l'œuvre originale suinte un peu sur le début du scénario qui, heureusement, masque une suite viscérale. Car, presque sans surprise, la mise en scène est virtuose. La photographie de Jeff Cronenweth est saisissante dans ses contrastes entre la froideur hivernale et l'obscurité des intérieurs. La nuit est comme un bal de phares à toute vitesse dans lequel la caméra semble sans limite (le plan embarqué en moto, la course-poursuite, les plans larges). Une nouvelle fois, le son prend tout autant d'importance que l'image. Très artificiel, sorte de plongée en apnée dans l'esprit des personnages, le travail est d'une précision remarquable (on peut penser ici à la scène de la fellation avec l'aspirateur en fond sonore, le traitement sur le montage alterné final...). Et la cerise c'est bien entendu son duo d'acteurs assez épatants, car si l'on découvre la prometteuse Rooney Mara, on en redécouvre pas moins un Daniel Craig précis et tenace.
Très narratif, Millénium ennuiera certainement ceux qui avaient mal vécu l'expérience du Zodiac. D'ailleurs, ici et là, le film traine en longueurs en se mélangeant quelques fois les pinceaux dans la complexité de son affaire criminelle. Si l'abondance des éléments est parfois difficile à digérer, David Fincher signe cela étant un nouveau diamant policier, passionnant de noirceur, qui poursuit une filmographie obsédée par les ordres établis et les moyens de les renverser. Dans l'excentricité marginale et sexuelle de son héroïne Lisbeth Salander, le cinéaste poursuit ici une route envoûtante.


Réalisé par David Fincher
Avec Daniel Craig, Rooney Mara, Christopher Plummer
Film américain | Durée : 2h38
Date de sortie en France : 18 Janvier 2012

19 janvier 2012

J. Edgar

J. Edgar Hoover fut le directeur du FBI pendant près de cinquante ans. Incarnation de la justice criminelle et de l'innovation scientifique, l'homme n'est pas seulement la figure qu'il représente dans l'Histoire des Etats-Unis : Clint Eastwood s'attache pendant les deux-heures et quart du film à tracer la personnalité de cet homme, ses refoulements et ses émotions. Après son diptyque guerrier ou le parcours de Nelson Mandela dans Invinctus, l'Histoire s'impose de nouveau dans la filmographie récente d'Eastwood. Le réalisateur des éternels Million Dollar Baby, Sur la route de Madison ou Mystic River ne cesse de gagner en maturité de vie, tant en philosophie que dans œuvre. Son regard sur le passé hante de plus en plus ses films, comme le reflet de ses propres angoisses. Si le résultat n'est pas toujours à la hauteur (le dernier gros plantage d'Au-delà), J. Edgar impose un savoir-faire évident, presque sûr de lui-même. Photographie terne au clair-obscur saisissant, belle reconstitution historique, dialogues affinés... le biopic gage une qualité de forme indéniable. Qui dit potentiel de réalisation appelle potentiel de casting. Le point revient alors à Leornardo DiCaprio, habité par son personnage, qui, dans la finesse de son jeu, rend parfaitement hommage à la perfection du maquillage. Le film donne à raison le beau rôle à cette personnalité historique peu connue, à l'ambiguïté et à la force de caractère véritablement compatibles avec le cinéma.
Mais si J. Edgar se regarde avec curiosité et, possiblement, admiration, ca serait certainement jouer la clémence sur la structure bancale du film, trop peu orientée et finalement peu attractive. Dustin Lance Black, le scénariste d'Harvey Milk, articule le récit dans des allers-retours entre passé et présent qui donnent le tournis à défaut de trouver le bon rythme. Car malgré cette prise de risque, le schéma reste banal, et se cantonne à une écriture en flashbacks successifs. Mais il manque surtout de l'âme pour que l'initiation passionne un peu plus. Si les érudits d'Histoire se régaleront du voyage dans le temps, les non-initiés peineront à trouver leur marque et de quoi se mettre sous la dent. Le sujet est excellent mais Eastwood opte pour une sobriété hyperbolique, peu aimable, à l'esthétisme abouti mais à la froideur peu attractive. La voix-off ou les coulis de piano aux moments cruciaux ne parviennent pas à donner corps à ce film qui semble finalement fait avec talent au détriment du cœur.
Il y a tout de même une sensibilité pudique qui vient accompagner les meilleures séquences du film (la dispute à l'hôtel, Edgar dans la robe de sa mère devant le miroir, la mort finale) qui, en camouflant le pathos comme Hoover dissimulait ses sentiments au service de son image, donne à J. Edgar une sensibilité à laquelle on ne s'attendait pas. C'est en prenant son spectateur de cours dans l'émotion qu'Eastwood parvient à tout à fait convaincre. Tout autour, reste un biopic léché beaucoup moins surprenant, qu'on aurait aimé puissant là où il ne fait qu'attiser la curiosité.


Réalisé par Clint Eastwood
Avec Leonardo DiCaprio, Naomi Watts, Armie Hammer
Film américain | Durée : 2h15
Date de sortie en France : 11 Janvier 2012

11 janvier 2012

Louise Wimmer

Louise Wimmer vit dans la rue, enfin plus exactement dans sa voiture. Séparée de son mari, seule, son quotidien rime entre ses ardoises au PMU, ses matinées de travail en tant que femme de chambre, et ses longues nuits froides sur les parkings. Fatiguée, elle cherche désespérément un appartement.
C'est le premier long-métrage de fiction du documentariste Cyril Mennegun. L'héritage du documentaire est ici évident : plongée dans la chute d'une femme socialement écartée, sans compromis ni attendrissement, Mennegun signe un premier film réussi. Comme le titre éponyme l'indique, le personnage et son actrice l'incarnent à eux tout seuls. Froide, fière, physiquement dure et peu gracieuse, Corinne Masiero est la révélation du film. Sortie tout droit du petit écran, elle crève ici le grand dans la force qu'elle parvient à véhiculer de par son corps ou son jeu facial. Le réalisateur opte pour une mise en scène naturaliste qui ne quitte jamais son héroïne. Tantôt cinquantenaire aigrie dans son travail, femme terrienne au besoin charnel chez son amant, ou adolescente libre dans une séquence de danse remarquable, le réalisateur dresse un portrait complet de son personnage. La grande qualité de Louise Wimmer est de saisir uniquement l'instant présent, jusqu'à refuser d'expliquer réellement le passé. Le spectateur est ainsi basculé dans les différents états d'âme de ce personnage, souvent comme son passager de taxi. La voiture, personnage à lui tout seul, semble incarner son jumeau de route : un peu cabossée, souvent en panne, elle peine à avancer mais survit malgré tout. Car le film ne se veut pas plombant, et même si la happy-end reste minimale (un appartement au quinzième étage d'un HLM...), le réalisateur la traite comme telle, ensoleillée comme le nouveau départ vers lequel Louise semble se diriger.
Le scénario peine quelque peu à trouver l'envergure du long-métrage. Si l'approche réaliste est privilégiée, elle se mord quelques fois la queue dans des redîtes qu'anticipent le spectateur, et vers lesquelles il peut parfois rentrer dans l'ennui. Au-delà du traitement singulier de la protagoniste qui offre agréablement une toute autre image de l'archétype féminin au cinéma, le courage du film se trouve également dans ses moments d'émotion toujours saisissants de soudaineté et de maladresse (l'avance de son ami dans la voiture, l'enlacement entre la mère et sa fille). Filmer la vie telle qu'elle est, telle qu'elle nous ressemble, un médium que connait bien Cyril Mennegun en empruntant pour la première fois la fiction. La photographie, assez belle, n'esthétise jamais à outrance. La mise en scène, sans tendre vers l'exceptionnel, parvient tout de même à attirer l'œil, notamment dans son travail d'éclairage. Car Louise Wimmer reste un film après tout assez sage, qui aurait peut-être gagné en indignation (?). Mais cette femme, incroyable à défaut de ne pas être tout le temps sympathique, luttant la tête haute pour son droit le plus sacré (un toit où se loger), est incontestablement vivante dans ce film qui transpire la liberté et s'égratigne contre les incohérences de nos sociétés. Un cinéma insolent qui, un peu trop modestement, trace néanmoins une ligne de force qui sied bien à son époque.


Réalisé par Cyril Mennegun
Avec Corinne Masiero, Jérôme Kircher, Anne Benoit
Film français | Durée : 1h20
Date de sortie en France : 04 Janvier 2012

9 janvier 2012

A Dangerous Method

Carl Jung, psychanalyste talentueux, reçoit Sabina Spielrein dans ses bureaux, une jeune femme victime d'hystérie. Très rapidement, docteur et patiente vont tomber amoureux l'un de l'autre. Jung rencontre en même temps Sigmund Freud, son père spirituel. Si Freud voit d'abord Jung comme un potentiel successeur de la pensée psychanalytique, bientôt les deux hommes vont se brouiller en divergeant leurs convictions : Jung croit en une irrationalité dans la nature humaine et souhaite s'imposer comme guérisseur tandis que Freud propose une interprétation purement sexuelle. Au cœur du schisme qui éloigne les deux hommes, cette jeune femme terrienne qui déchaine les passions d'un Jung troublé et soumis à ses pulsions amoureuses.
Il n'est pas très étonnant de voir David Cronenberg dans cet exercice de reconstitution. Psychanalyse et exploration de la pensée humaine n'ont de cesse de hanter son œuvre : du film de monstre (Chromosome 3, Scanners) à la vision aliénée et moderne du sexe (Crash) ou à la plongée dans la toile des traumatismes d'enfance (Spider), avec A Dangerous Method, Cronenberg rentre véritablement dans le sujet par la reconstitution. Le film est l'adaptation de la pièce de Christopher Hampton (qui signe également le scénario), elle-même adaptée du roman de John Kerr. Si le sujet n'étonne guère, sa mise en place est sans doute plus singulière. Très narratif dans ses dialogues travaillés, A Dangerous Method s'articule essentiellement autour de la langue, pouvoir de ses protagonistes, qui – comme Hampton l'avait parfaitement adaptée de Laclos – se rapproche du verbe des Liaisons dangereuses. Ainsi, la mise en scène se repose quasi essentiellement sur le jeu de ses acteurs. Michael Fassbinder, Keira Knightley et Viggo Mortensen sont tous les trois brillants et permettent littéralement au film de trouver l'assurance dont il nécessitait. Ainsi, la mise en scène d'apparence froide ou désincarnée déplaira certainement à un public vite lassé du principe. Leçon brute d'histoire et de psychologie pour certains, cette approche cinématographique est en réalité la marque d'un retrait d'une grande intelligence, d'une sobriété qui n'a plus besoin d'aller chercher l'émotion tant elle la brasse avec une facilité déconcertante pendant l'heure et demie de film. Bavard mais assumé en tant que tel, avec A Dangerous Method, Cronenberg parvient une fois de plus à surprendre son spectateur, à renouveler un cinéma ici historique mais qu'importe : le film semble avant tout une plongée dans le déséquilibre de ce docteur qui, fragilisé lui-même par les maux qu'il tente de guérir (la passion, le refoulement, cet irrationalité dont il semble si attaché) perd peu à peu de ses plumes. Le film frôle la grâce dans ses séquences où subitement la langue se tait et où l'impulsivité du geste prend le pas sur l'assurance de la parole (la première relation sexuelle, l'effondrement de Jung) et la touche tout à fait dans cette séquence de fin, merveilleuse de retenue, qui tend bel et bien le film au-delà de la précision de son sujet. Alors si l'on peut avouer préférer le cinéaste dans d'autres formes d'exercice, force est de constater la beauté discrète de cette Dangerous Method qui, dans sa complexité intellectuelle, serre les liens d'un regard sur la nature humaine, tout en restant à sa taille même parmi les plus grands.


Réalisé par David Cronenberg
Avec Keira Knightley, Michael Fassbender, Viggo Mortensen
Film anglais | Durée : 1h39
Date de sortie en France : 21 Décembre 2011

8 janvier 2012

La Délicatesse

Nathalie est jeune, belle, amoureuse, trouve un travail. Mais la mort de son jeune mari bascule sa vie : endeuillée dans la solitude, elle retrouve peu à peu ses repères dans son cercle d'ami et son travail. Dans un moment de rêverie, elle embrasse un de ses collègues. Ce Markus, qui passe inaperçu dans l'entreprise, est pourtant loin du prototype d'homme intéressé par les charmes de la jeune femme. En compagnie de son frère Stéphane, déjà directeur de casting pour le cinéma, David Foenkinos adapte ici son propre roman éponyme, avec Audrey Tautou et François Damiens dans les rôles titres.
Cette comédie douce amère se laisse assez agréablement regarder. Sorte de Belle et la Bête contemporain dans un Paris de nos jours, La Délicatesse est un film léger sur la reconstruction affective et le hasard amoureux. L'âme du film et du livre est bien entendu cette rencontre singulière et hiérarchiquement opposée, bien portée par son duo de comédiens. Le rôle semble écrit pour Audrey Tautou, sensible et très à l'aise dans l'exercice tragi-comique qu'on lui connait déjà. La réelle surprise est en réalité celle d'un François Damiens à la gaucherie attachante, sans cesse dans la disgrâce gracieuse, qui accompagne les meilleures séquences du film. Les réalisateurs semblent avoir trouver le bon ton, empruntant parfois à la légèreté ses meilleures possibilités : d'un trajet onirique de Markus croisant sur sa route des jeunes femmes qui le charment, à un dialogue au restaurant filmé le temps d'un instant dans un aquarium, c'est lorsqu'ils communiquent leur plaisir de metteur en scène que les réalisateurs convainquent le mieux. Car bien porté par ses seconds rôles - certainement une qualité de directeur de casting – La Délicatesse s'offre finalement comme un chocolat réconfortant proprement emballé.
Proprement à défaut de l'être moins. Car évidemment, de ce premier essai filmique suinte ici ou là quelques failles qui viennent malheureusement nuancer la bonne appréciation du spectateur : d'une voix-off facile à des ellipses trop chapitrées dans ses effets de fondus au blanc, les réalisateurs peinent de manière générale à donner de l'épaisseur à leur scénario. Le tout s'avère un peu trop lisse et glissant pour que La Délicatesse se détache tout à fait de son papier. Il faudra alors se contenter des belles émotions ponctuelles que parviennent toutefois à capter David et Stéphane Foenkinos, sur le toit de l'entreprise, sur un pont où la Tour Eiffel s'illumine soudainement... à l'image de la conclusion à la poésie quasi bergmanienne dans Les Fleurs sauvages, qui ferait regretter que l'ensemble n'ait pas tendu dans ce même sens. Pour un premier essai, le résultat de ce film avant tout populaire reste toutefois de bonne facture.


Réalisé par David et Stéphane Foenkinos
Avec Audrey Tautou, François Damiens, Bruno Todeschini
Film français | Durée : 1h48
Date de sortie en France : 21 Décembre 2011

6 janvier 2012

Take Shelter

Récompensé à Cannes et à Deauville, Take Shelter est le premier grand rendez-vous cinématographique de l'année. On y suit ce père de famille attachant, Curtis, et le quotidien de sa petite famille. Avec Samantha son épouse et Hannah leur fille sourde et muette, ces derniers vivent tant bien que mal avec le handicap et une crise financière qui ne facilite pas la tâche des classes moyennes. Mais tout commence à basculer lorsque Curtis a d'étranges visions apocalyptiques. Un puissant pressentiment l'envahit alors et l'isole bientôt des siens : Curtis est convaincu qu'une énorme tempête approche et met en péril la vie de tous.
C'est le deuxième long-métrage de Jeff Nichols, un réalisateur peu connu qui risque sans doute de se construire ici une certaine notoriété. Take Shelter est une vraie réussite de genre, surprenante d'audace. En s'intéressant à la fin du monde - un sujet leitmotiv du cinéma et désormais d'actualité ces derniers temps - le réalisateur-scénariste prend à contre-courant son spectateur. Aussi éloigné que possible du traitement des blockbusters, Nichols utilise ici la paranoïa apocalyptique comme une toile de fond, et non plus comme un sujet spectaculaire. Résultat : Take Shelter s'offre moins comme un film de spectacle qu'une chronique familiale à hauteur d'homme qui, et c'est là sa grande force, semble convaincue de sa propre approche. Le réalisateur persiste et signe dans son jusqu'au-boutisme périlleux qui l'amène pendant tout le film à ne jamais quitter le point de vue de son personnage à la névrose en crescendo ; ceci jusqu'au délire d'esprit dont le spectateur est le seul réel témoin (très loin des psychologues peu concernés). Si la mise en scène est sûre d'elle-même c'est parce qu'elle ne tente jamais de faire attraction en impressionnant d'une quelconque manière : les visions rêvées ou hallucinées sont moins des chocs que des contemplations terrorisantes, à la fois magnifiques et sans cesse ambigües. Une des plus belles séquences s'arrête longuement avec un Curtis observant l'orage au loin, alors qu'il s'est arrêté sur le bord de la route : « Suis-je le seul à voir ça ? ». Dans ce balai d'éclairs menaçants c'est la question qui hante tout le film et qui, assez incroyablement, ne semble pas trouver de réponse. Le final, aussi ambigu que libérateur pour le spectateur (la résolution psychiatrique n'est pas suffisante), donne au point final de Take Shelter un sentiment de non-dit qui hante encore après le générique.
En allégeant au mieux sa mise en scène, Nichols parvient aussi à capter superbement le jeu des acteurs. Michael Shannon, de plus en plus emprisonné dans le cadre, signe une interprétation incroyable de claustrophobie tandis que Jessica Chastain, la muse de Malick dans The Tree of Life, confirme son talent à fleur de peau. Ils sont le cœur de ce film envoûtant qui raconte beaucoup de choses au-delà de son sujet (la famille, la fragilité humaine, ses peurs primaires) tout en se moulant dans un mystère discret. Un réalisateur à suivre, tant ce Take Shelter étonne de par son charisme et sa simplicité de forme, comme un plume qui en pèserait des tonnes.


Réalisé par Jeff Nichols
Avec Michael Shannon, Jessica Chastain, Tova Stewart
Film américain | Durée : 2h00
Date de sortie en France : 04 Janvier 2012

2 janvier 2012

Top 2011

Ca y est, 2011 s'en est allé ! Le temps de résumer cette année de cinéma qui contient (un peu comme toutes) ses lots de pépites et de déceptions. Beaucoup de bonnes surprises pour ma part, d'où l'extension du classement jusqu'au top 20, mais avec un trio de tête qui s'est très vite dessiné !

Je tiens particulièrement à remercier les visiteurs de mon blog : vous ! Bravo aux autres blogueurs pour l'enthousiasme dont vous faites part sur vos blogs et le mien, voir la cinéphilie amateur aussi dense et pertinente sur le Net c'est franchement cool. Continuons !
Merci aussi à tous les internautes plus anonymes qui parcourent et feuillettent de temps en temps ces pages. Voir le nombre de visites et savoir que l'on est lu, même partiellement, fait toujours chaud au cœur :) .

Bonne année 2012
à tous, et bien entendu voici mon top 10 ! J'accepte les éloges d'approbation, les insultes et même les chèques des boîtes de prod'... alors lâchez-vous !


Réalisé par Darren Aronofsky
Avec Natalie Portman, Mila Kunis, Vincent Cassel
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Réalisé par Daniel Espinosa
Avec Joel Kinnaman, Matias Padin, Dragomir Mrsic
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Réalisé par Nicolas Winding Refn
Avec Ryan Gosling, Carey Mulligan, Bryan Cranston
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4/
Carancho
Réalisé par Pablo Trapero
Avec Ricardo Darin, Martina Gusman, Carlos Weber
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5/
Restless
Réalisé par Gus Van Sant
Avec Henry Hopper, Mia Wasikowska, Ryo Kase
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6/
Une Séparation
Réalisé par Asghar Farhadi
Avec Leila Hatami, Peyman Moadi, Shahab Hosseini
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7/
Polisse
Réalisé par Maïwenn
Avec Karin Viard, Joey Starr, Marina Foïs
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8/
Incendies
Réalisé par Denis Villeneuve
Avec Rémy Girard, Lubna Azabal, Mélissa Désormeaux-Poulin
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9/
Le Gamin au vélo
Réalisé par Jean-Pierre et Luc Dardenne
Avec Cécile de France, Thomas Doret, Jérémie Renier
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10/
The Tree of Life
Réalisé par Terrence Malick
Avec Brad Pitt, Jessica Chastain, Sean Penn
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11/ Super 8, réalisé par J.J. Abrams
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12/ Le Discours d'un roi, réalisé par Tom Hooper
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13/ The Artist, réalisé par Michel Hazanavicius
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14/ Scream 4, réalisé par Wes Craven
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15/ Hugo Cabret, réalisé par Martin Scorsese
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16/ Arrietty, le petit monde des chapardeurs, réalisé par Hiromasa Yonebayashi
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17/ Minuit à Paris, réalisé par Woody Allen
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18/ Harry Potter et les reliques de la mort - partie 2, réalisé par David Yates
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19/ We Need to Talk About Kevin, réalisé par Lynne Ramsay
< lire la chronique >

20/ Mission : Impossible - Protocole fantôme, réalisé par Brad Bird
< lire la chronique >
Les Aventures de Tintin : Le Secret de la licorne, Intouchables, The Prodigies, De l'eau pour les éléphants, Tomboy, We Want Sex Equality, La BM du Seigneur,
L'Apollonide - souvenirs de maison close (pas de chronique)

Somewhere, 127 heures, Love, et autres drogues, La Permission de minuit, Essential Killing, Source Code, Pirates des Caraïbes : la Fontaine de Jouvence


Shame (c'est le cas de le dire !), Never let me go, La Guerre est déclarée, Melancholia, Fighter, J'ai rencontré le diable, La Grotte des rêves perdus, Hanna, Bon à tirer, Super, Un Heureux évènement, A Dangerous Method, Winter's bone, Animal Kingdom, Blue Valentine... On se rattrapera en DVD !

(Voilà pour 2011 !
-> Rendez-vous sur le blog pour des nouveautés très rapidement :] )

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