30 décembre 2011

Hugo Cabret

Après l'adaptation de Shutter Island, le géant Martin Scorsese met ici en images le roman d'Hugo Cabret. Budget olympique, technologie 3D à l'appui, le film est le blockbuster de fin d'année. Mais très agréablement, il est aussi un conte de pure fantaisie sous forme d'hommage au cinéma des premiers temps, dans lequel le septième art est la clé de l'aventure.
On connaît pourtant le réalisateur américain sous des jours plus sombres : auréolés de récompenses, il aura notamment marqué le film de gangsters à travers des chefs-d’œuvre incontournables (Mean Streets, Les Affranchis, Casino, Les Infiltrés) ou le genre du biopic (Raging Bull, Aviator) . Mais ayant toujours équilibré sa carrière entre des films populaires ou plus exigeants, il n'est pas surprenant de revoir le cinéaste dans ce nouvel exercice. En retraçant la vie d'Howard Hughes dans Aviator, Scorsese flirtait déjà avec l'hommage : Hugo Cabret est l'accomplissement de cette déclaration d'amour. Après la mort prématurée de son père, le petit Hugo vit dans une gare parisienne où il s'occupe des horloges. Mais en réalité, il n'a de cesse de faire réparer un automate que lui a confié son père, un automate qui le poussera à rencontrer l'un des premiers réalisateurs de cinéma et à donner un sens à sa vie. Le témoignage qui transpire du film est évident ; mieux, il est - pour le plus grand plaisir du spectateur - superbement mis en image, mêlant à l'artifice travaillé de sa photographie un relief étonnant. Accompagné de mouvements de caméra renversants notamment dans toute sa première partie, la forme n'épargne pour autant pas un jeu léché de la part des jeunes comédiens et des pionniers (Ben Kingsley, Sacha Baron Cohen, Christopher Lee). L'émotion trouve son foyer tant dans la magnificence de la mise en scène quand dans l'interprétation sensible des comédiens. Et il est bel et bien question d'émotions dans Hugo Cabret : parcours de l'enfant seul à la quête de sa propre identité, les rêves oubliés que l'art vient soudain projeter et faire renaître... Scorsese signe une très belle ode au cinéma et à l'évasion, offrant à Georges Méliès la considération qu'il mérité dans le cœur des spectateurs que nous sommes tous.
Cet hommage risque cependant d'ennuyer son jeune public, la promotion du film étant faussement axée sur l'entertainment-movie de tout âge. Les adultes goûteront certainement plus leur plaisir que les enfants, car dans ses faux airs de film à spectacle Scorsese réalise un vrai conte personnel aux ambitions artistiques marquées. Comme un burlesque à la mélancolie plus soulignée, Hugo Cabret s'ouvre vers un imaginaire auquel les plus âgés seront certainement plus sensibles. La narration en douce progression, malgré son parti pris, frôle d'ailleurs souvent l'arythmie, les deux heures du film ayant peut-être pu être raccourcies.
Mais reste dans cette fable une poésie néanmoins tout public qui se conclut sur un « il était une fois » éternel et que l'on espère inépuisable. Car dans cette gare où les gens et les destins se croisent, deux inventions intimement liées semblent dans le cliquetis de leurs rouages incessants ne jamais s'arrêter ; d'une part le train qui fait voyager le corps, d'une autre le cinéma qui fait voyager l'esprit. Mais toutes deux font voyager le cœur, et ça, Méliès comme Scorsese semblent l'avoir bien compris.


Réalisé par Martin Scorsese
Avec Asa Butterfield, Ben Kingsley, Sacha Baron Cohen
Film américain | Durée : 2h08
Date de sortie en France : 14 Décembre 2011

29 décembre 2011

Intouchables

Avec un peu plus de 15 millions de recettes au second mois, Intouchables est devenu le meilleur succès de l'année en France et, on peut le dire, un phénomène qui n'est pas sans rappeler Bienvenue chez les Ch'tis en 2008. Comédie hilarante pour la majorité, souvenir d'une mièvre escroquerie pour d'autres, une chose est sûre, le film d'Eric Toledano et d'Olivier Nakache sera cette fois plus difficile à attaquer que celui de Dany Boon. Inspiré du documentaire A la vie, à la mort réalisé pour France Télévisions en 2003, Intouchables retrace le parcours de Philippe Pozzo di Borgo et de son auxiliaire de vie Abdel Sellou en se concentrant sur cette rencontre singulière entre un riche parisien tétraplégique et un jeune de cité.
De la même façon que Je préfère qu'on reste amis... en 2005 et Tellement proches en 2009, le film de Toledano et de Nakache est une vraie comédie. En optant pour le rire dédramatisant – postulat de départ de La Guerre est déclarée de Valérie Donzelli – Intouchables trouve rapidement le bon ton grâce à son tandem de comédiens excellents. Omar Sy en guignol impertinent se marie naturellement avec François Cluzet, jamais dans la surenchère de jeu, ici étonnant de sobriété. Mais la recette du succès populaire était déjà toute trouvée dans le scénario même. Driss, prisme du public populaire, rentre dans le milieu huppé de Philippe pour s'en moquer : une identification parfaite et d'actualité dans un pays qui, croulé sous les formalités, aspire à un peu plus de laisser-aller et de permis de vivre. Bienvenue chez les Ch'tis s'articulait déjà autour du transfert d'un personnage dans un milieu inconnu (le sudiste dans le pôle nord de la France) dans lequel il découvrait aussi une certaine simplicité oubliée. Mais si Boon ne s'écarte jamais vraiment du rire potache (le one-man movie en quelque sorte), Intouchables semble aller un peu plus loin. Le film est risqué car il confronte bien entendu des clichés. Derrière son appel d'air « inspiré d'une histoire vraie », cette histoire – toute aussi rationnelle soit-elle – aurait pu s'écraser dans un pathos de bons sentiments. Mais si les bonnes intentions ne font pas d'elles-mêmes des bons films, elles n'en font pas moins systématiquement des mauvais. Dans son humour populaire mais rythmé, sa pudeur étonnante qui craquelle aux bons moments, Intouchables est une vraie réussite de fond, jamais abrutissante dans l'émotion mais sensible dans sa bonne humeur latente ; en promenade nocturne dans Paris, en volant en parapente en montagne ou simplement en fumant sur un joint et faire la nique aux principes.
L'éloignement des archétypes est bien visé : pas de scènes larmoyantes où Driss sauve le cocon familial avec son argent, pas de reconquête de Philippe, le film se concluant avec raison vers les départs nouveaux... Mais en quasi connivence, la forme filmique ne montre pas ou peu d'ambitions, et frôle souvent la bonne règle (les plans grue un peu nombreux, la musique de remplissage).
Mais d'une façon ou d'une autre, aussi éloigné de l'idée que chacun est libre de se faire sur la définition d'un bon film, Intouchables n'est pas un succès populaire à déplorer (il y en a t-il vraiment ?). Car à hauteur d'homme et de spectateur, cette comédie souriante raconte de belles choses sans en évoquer de mauvaises ; ce qui représente déjà un petit succès en soi.


Réalisé par Eric Toledano et Olivier Nakache
Avec François Cluzet, Omar Sy, Anne Le Ny
Film français | Durée : 1h52
Date de sortie en France : 02 Novembre 2011

18 décembre 2011

Mission : Impossible - Protocole fantôme

Autant dire qu'avec ses spots promo sponsorisés Coca-Cola Zéro, Mission : Impossible 4 ne vendait pas beaucoup de rêve... Quel dommage ! Le nouveau blockbuster de la Paramount est pourtant une vraie réussite de genre. Ethan Hunt (Tom Cruise) part ainsi pour une nouvelle mission, accompagné cette fois de trois nouveaux agents (Jeremy Renner, Simon Pegg, Paula Patton). Dubaï, Vancouver, Prague, Moscou, Mumbaï... ce nouveau Mission Impossible est un pur spectacle de divertissement et d'évasion qui semble avoir la bonne idée d'emprunter énergiquement les codes établis. Intrigue classique - la fin du monde à éviter est nucléaire – le film se consomme pour ce qu'il est, de la vitamine C dont le second degré permet une consommation sans modération. Car c'est sans doute le grand atout de ce quatrième volet : tout en mettant à l'image le budget colossal de sa production pour ne pas trahir son spectateur, le film ne se prend jamais trop au sérieux, ni pas assez.
Brad Bird, tout droit venu des studios Pixar, semble en effet avoir trouvé un équilibre honnête. Si l'action ne s'arrête jamais vraiment, la mise en scène ne tend pas dans le montage épileptique. Le rythme, évidemment rôdé comme une usine, n'ennuiera personne. Première surprise : les séquences d'action sont brillantes. Bien huilée par une séquence virtuelle de jeu-vidéo dans la prison, la machine propose du beau spectacle. Les plus impressionnantes restant celles du gratte-ciel de Dubaï (à éviter pour ceux ayant le vertige) ou la course-poursuite dans la tempête de sable qui réemprunte une esthétique virtuelle. Bird n'est pas là pour révolutionner le genre : en bon élève, il s'adapte et parvient à maitriser son suspens. Un des passages les plus étonnants est celui de la toile écran qui reflète un faux fond, que poussent peu à peu Ethan Hunt et Benji Dunn : pour une fois derrière l'écran, le spectateur est celui que l'ennemi regarde sans voir. Jouant sur des sensations diverses - on ne rentre jamais pour autant dans la métaphore - comme celle désormais célèbre du travelling de course dans un décor qui explose (le plan d'Abrams sur le pont dans le troisième volet restera le plus saisissant), le film propose un spectacle tout en se souciant de son spectateur. Si la mise en scène reste d'une certaine manière strictement académique et n'empêchera pas pour les moins naïfs l'impression de déjà-vu, elle reste toutefois d'une grande efficacité.
Le casting fait le job, mais c'est surtout Cruise qui crève évidemment l'écran, tant dans ses prouesses physiques que dans son recul vis à vis de lui-même (la séquence des poubelles est une perle), style nouveau depuis Tonnerre sous les Tropiques. Seule déception avec une Léa Seydoux négligée et peu consistante, à l'image de l'intrigue de vengeance féminine qui n'arrive malheureusement pas à trouver sa place dans le scénario.
Honnête et divertissant, Mission : Impossible – Protocole fantôme est toutefois une bonne surprise qui ravira les amateurs de suspens et de vertige, finalement assez éloignée du produit de pur label que l'on pouvait en attendre. Le plaisir pas trop coupable de fin d'année.


Réalisé par Brad Bird
Avec Tom Cruise, Jeremy Renner, Simon Pegg
Film américain | Durée : 2h13
Date de sortie en France : 14 Décembre 2011

17 décembre 2011

Carnage

Le garçon de Nancy et Alan (Kate Winslet – Christoph Waltz) blesse celui de Penelope et Michael (Jodie Foster – John C. Reilly) lors d'une bagarre. Les deux couples se rencontrent pour la première fois afin de faire un constat à l'amiable. Mais très vite, la situation va s'envenimer...
C'est le nouveau film de Roman Polanski, filmé en huit-clos et adapté d'une pièce de théâtre française par sa propre dramaturge,Yasmina Reza. Cinéaste ovationné tant par la critique que par le public - malgré ses nombreux déboires personnels - de Chinatown à Tess ou de La Neuvième Porte au Pianiste, Polanski est déjà l'auteur d'une filmographie importante et reconnue. Après le succès du thriller politique The Ghost Writer, Carnage change de registre. Théâtre filmé dans une pièce unique et restreinte (le salon de Penelope et Michael), le film réunit un quatuor d'acteurs brillants. Et c'est tant mieux, voire heureusement, car ce dernier se présente avant tout comme une métrage de jeu : vaudeville comique et ironique, brillant dans son regard acéré sur les relations humaines et sociales, les quatre-vingt minutes de Carnage ne se boudent pas. D'abord respectueuse et convenue, la relation entre les deux couples se dégénère et tout le monde tire bientôt sur tout le monde : l'écriture empirique se mêle parfaitement à l'interprétation précise des comédiens. Jodie Foster, femme de principes convaincue, raffinée (son goût pour l'art) et concernée humainement (sa passion pour l'Afrique) explose rapidement sur Kate Winslet, mère de famille élégante mais lassée et fatiguée par un mari obsédé par son travail : Christoph Waltz, avocat vereux et nonchalant qui finit pourtant par se lier d'amitié avec John C. Reilly, un bon vivant peu ambitieux qui exaspère sa femme. Les acteurs offrent une partition parfaite et variée, bien alcoolisée, qui donne au fond le charme du film.
Car dans sa contrainte spatiale intéressante, Polanski installe une mise en scène, certes efficace, mais finalement peu attractive. Cadres fixes, découpage travaillé, la forme cinématographique joue la carte de la sobriété précise : trouvant sa seule originalité dans quelques utilisations ponctuelles de miroirs et des compositions intéressantes, c'est un Polanski discret que l'on retrouve ici, bien plus en qualité de directeur d'acteur que dans l'esthète qu'on lui connait.
Plaisante quoi qu'un peu téléphonée, l'adaptation est réussie au sens où tout le potentiel de l'œuvre originale semble conservé. Mais sans se vouloir comme un média supplémentaire et enrichissant, le cinéma est surtout ici un moyen de populariser la pièce à un large public. Évitant la déception dans son savoir-faire évident, Carnage ne marquera pour autant pas les esprits ou les rétines, surtout dans son dénouement inexistant qui vient déséquilibrer une narration pourtant fluide ; pour servir finalement une parenthèse polanskienne à ne pas bouder, qui reste cependant ce qu'elle est.


Réalisé par Roman Polanski
Avec Jodie Foster, Kate Winslet, Christoph Waltz
Film français, polonais | Durée : 1h20
Date de sortie en France : 07 Décembre 2011

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