29 avril 2011

Lost Highway

Fred et Renée Madison vivent dans une belle demeure mais leur vie de couple se meurt peu à peu dans le silence et la jalousie. Un jour, ils découvrent à leur porte une cassette vidéo : un inconnu filme leur maison de la rue, puis dans une seconde cassette va même jusqu'à filmer le couple endormi dans leur chambre. Paranoïaque, Fred sombre bientôt dans la folie à la vision de nouvelles images, le montrant hurlant sur le cadavre de sa femme, hâchée en morceaux... Jugé coupable du meurtre, il est condamné à mort et fait enfermé.
David Lynch, assurémment l'un des plus grands cinéastes contemporains, signe un nouveau long-métrage après avoir lancé le série Twin Peaks pour le petit écran. De son premier film cauchemardesque et torturé Eraserhead, à Elephant Man qui avait secoué les Oscars au début des années 80, celui qui avait préféré mettre de côté Le Retour du Jedi pour Dune et bientôt Blue Velvet et Sailor et Lula (Palme d'Or en 1990) n'avait pourtant pas marqué autant les esprits avec ce Lost Highway. Quinze ans plus tard, le fait reste encore plus étrange. Drame fantastique à tendance schizophrène, le film se fait le véritable précurseur des prochains Mulholland Drive et Inland Empire. Sans doute pas assez prêts, moyennement réceptifs, le public et la presse sont sans aucun doute passés à côté de cette œuvre en ébullition, incompréhensible pour les plus téméraires, froidement linéaire pour les plus attentifs.
Lost Highway est le premier David Lynch à brouiller des pistes pourtant bien tracées. Il y a dans ce film (ce que l'on retrouvera dans les deux prochains, en mettant de côté Une histoire vraie) une volonté de morfondre deux grammaires cinématographiques opposées : d'abord celle d'un cinéma classique dans une mise en scène tournée avant tout vers ses acteurs - champs contre champs répétitifs, gros plans, raccords dans l'axe... - et celle d'une forme narrative sans cesse mouvante, d'apparence insaisissable, qui trompe le spectateur quand il se sent trop confortable. Si Mulholland Drive excellera dans ces intentions, Lost Highway s'impose déjà dans l'exercice de style. D'abord thriller fantastique qui atteint son climax lors de la séquence de "révélation", romance d'adultère entre un jeune homme et la femme tentatrice du boss, un certain M. Eddy qui propose même certaines séquences de film gangster... Lynch a ce même goût des inspirations, déjà frappantes dans Blue Velvet, qui ici amènent bien le spectateur sur une autoroute perdue, jamais claires sur la destination, en fait toujours à hauteur des protagonistes, dont le paroxysme de la forme (connue et acceptée) au fond (d'apparence invraisemblable) peut évidemment choquer. Mais derrière cette façade de non conformisme, se cache un vrai film d'auteur qui pulvérise les codes de narration et éblouie toujours de tant de précision, Lynch parvenant à donner à ses films aussi complexes soient-ils une assurance et une maitrise qui déconcertent autant que la logique mystifiée de ses scenarii. Pour Lost Highway, de la direction d'acteur à la photographie, de la structure narrative à l'approche du son, tout s'harmonise pour donner à ce film aux mille thèmes (la place du créateur partagée entre David Lynch lui-même et ce personnage exorciseur, la seconde chance, le pouvoir sexuel féminin...) cette force singulière qui isole certaines œuvres des autres. Et autant dire qu'avec ce Lost Highway, rarement le cinéma aura été aussi perdu et confiant à la fois.


Réalisé par David Lynch
Avec Bill Pullman, Patricia Arquette, Balthazar Getty
Film américain, français | Durée : 2h15
Date de sortie en France : 15 Janvier 1997

26 avril 2011

Source Code

Colter Stevens, un soldat américain, se réveille dans un train en partance pour Chicago. Une passagère le traite comme un ami, son reflet n'est plus le sien. Il ne comprend rien, le spectateur non plus. Le train explose, et ce dernier se réveille dans une capsule métallique en liaison avec des capitaines de l'armée. Enfin tout le monde comprend : il est au coeur d'une toute nouvelle technologie, le code source, qui permet de revivre huit minutes avant la mort d'un homme. Sa mission est de trouver le terroriste responsable de l'explosion du train, et bientôt de toute la ville entière.
Après le très respecté Moon, pourtant orphelin d'une sortie sur les toiles françaises, Duncan Jones - oui, oui, le fils de David Bowie c'est bien lui - revient avec ce thriller teinté de scientifico-philosophie cantique. Expérimentant une nouvelle fois cette thématique de la réalité fantasmée (Matrix, L'Effet papillon, Inception...), Code Source se laisse regarder mais reste tout de même bien en-dessous de ses inspirations certaines.
Le premier atout du film est son schéma, plutot séduisant. Le scénario s'articule autour d'une boucle de temps déjà passé qui se doit d'être réinterprété, relu via une réalité parallèle afin de jouer sur le présent. Cette situation qui se répète inlassablement est une bonne trouvaille. Simple dans l'idée, efficace à l'image, il faut dire que l'on accroche plutôt à cette histoire de bombe et de son coupable qui se cache quelque part parmi toutes ces personnes banales. Sorte de Vol 93 façon entertainement, Source Code vise assez juste dans son originalité qui lui permet de se démarquer et ainsi de faire apprécier le spectacle. Le second atout s'appelle Jake Gyllenhaal, maliable à souhait, attachant d'un battement de cil. Il a plutôt l'air d'y croire et ça fonctionne.
Mais est-ce que le spectateur, lui, y croit ? Réponse certainement moins certaine tant le film est parsemé de faiblesses qui peinnent à crédibiliser l'invraisemblable pendant une heure et demie. Certaines situations restent quand même incohérentes... à commencer par le personnage de Christina, aussi réactive que mamie un lendemain de cuite, dont le comportement fait parfois prêter à sourire. Colter ne cesse de lui dire d'ailleurs qu'elle est belle... il a bien compris là son unique qualité. Puis le comportement de tous ces figurants, jamais actifs, si bien qu'on peine à croire que Colter ne s'imagine pas une seule seconde dans un rêve ou plutôt un trip répété à l'intraveineuse. Cette atmosphère irréelle discrédite le suspens, ne faisant finalement pas de ce Source Code le thriller éprouvant que l'on pouvait en attendre. Bombe désamorcée en deux secondes sans aucune difficulté sinon celle de faire la même chose une deuxième fois, coupable évident et identifié aussi facilement qu'un chocapic dans un bol de miel-pops ; en fait Duncan Jones veut surtout insister sur la grande perspicacité de son protagoniste et ainsi complexifier assez facilement son twist final (la fameuse claque qui tue quand tu comprends tout le film, sauf la fin), sans oublier la petite tartine de romance fumeuse qui vient pimenter un peu la déception.
Mais reste de ces incidents de parcours un film grand public qui peut tout de même s'apprécier, à condition d'avoir des œillères et la conviction naïve de croire à l'incroyable le temps d'un instant. Largement faisable.


Réalisé par Duncan Jones
Avec Jake Gyllenhaal, Michelle Monaghan, Vera Farmiga
Film américain, français | Durée : 1h33
Date de sortie en France : 20 Avril 2011

24 avril 2011

Paris, Texas

Travis et Jane s'aimaient autrefois. Un jour, ils disparaissent laissant derrière eux Hunter, leur enfant de quatre ans. Recueilli par un couple d'amis, quatre années se découlent dans le mystère. Puis un coup de téléphone vient donner une lueur luminseuse dans le brouillard : Travis a été retrouvé, à bout de force, en plein désert. Que s'est-il passé ? D'abord muet, ireconnaissable, bientôt Travis revient dans le monde des vivants, retrouve la parole et son fils abandonné. Les retrouvailles sont difficiles, encore coagulantes de non-dits... Regrets, premières paroles, premiers espoirs. Avec son enfant, Travis part à la recherche de son épouse disparue. Il la retrouvera coûte que coûte et remontera le passé de son silence maladif....
Paris, Texas est une merveille, un miracle issu d'une production pourtant cafardeuse. Scénario complété au tournage, absence de Sam Shepard, le co-scénariste... Le film, de façon extraordinaire, se nourrit de cette création en continue, sans cesse inspirée sur elle-même au fil du tournage et de l'écriture. Wim Wenders vient ici sublimer son genre de prédilection : un road movie contre l'oublie et les sentiments qui s'envolent comme les années de silence. Paris, Texas est une œuvre mouvante, difficilement arrêtée dans son influence émotionnelle et plastique. Cadré par l'un des meilleurs directeurs de la photographie, Robby Müller (passé entre autre derrière la caméra de Friedkin, Jarmusch, von Trier) propose une image très travaillée, au bord de l'artifice. Baignant souvent ses séquences dans des bains de lumières colorées par des néons, les couleurs primaires viennent harmonieusement accompagner Travis dans sa quête intérieure. L'image se construit peu à peu en couleur en même temps que le protagoniste se reconstruit au gré du passé. Wenders et Müller propose ainsi de superbes moments de cinéma, en passant de la révélation bleutée de la mère adoptive qui nourrit un espoir chez Travis, à la visite du lieu de travail de Jane qui, maintenant que la vérité est proche, varie incessamment les teintes jusqu'à ces retrouvailles, extraordinaires, entre deux êtres déchus d'une passion éphémère qui viennent pourtant, pour une dernière fois, se compléter sur une vitre sans teint. En exploitant le splitfocus, Wenders donne autant de précision au premier qu'à l'arrière plan, pour ne rien cacher ou flouter. Paris, Texas est au contraire un film de retour, de remplissage, un vrai film d'amour. La couleur rouge dominante, illustre cette passion perdue bientôt retrouvée le temps d'un instant.
Des paysages désertiques abondants de lumière, aussi magnifiques qu'imperturbables, Wenders accompagne son personnage vers une longue route de secrets, laquelle se conclue sur une réussite des plus marquantes. Économie des dialogues (le film est à l'extrême inverse du travail de Jane dans ses décors restreints), de la musique aux accords tant discrets qu'efficaces et d'explications narratives montées de toute pièce, Wenders fait voyager son spectateur sans jamais lui indiquer une quelconque destination, sinon celles des plus belles émotions de cinéma, quelles qu'elles soient.


Réalisé par Wim Wenders
Avec Harry Dean Stanton, Nastassja Kinski, Hunter Carson
Film français, britannique, américain, allemand | Durée : 2h25
Date de sortie en France : 19 Septembre 1984


En complément : la critique de Pina chez Excessif
chez Le Nouvel Obs.com

22 avril 2011

Tomboy

Laure, dix ans, emménage avec ses parents et sa petite sœur Jeanne dans un nouveau quartier. Si Jeanne se rêve en princesse, Laure est plus attirée par le foot ou conduire la voiture avec papa. Lorsqu'elle fait la rencontre de Lisa et les autres enfants du quartier, Laura se fait passer pour un petit garçon, Mickaël.
Après Naissance des pieuvres, il est agréable de revoir le nom de Céline Sciamma pour un deuxième film. Prix Un Certain regard à Cannes, cette chronique adolescente avait touché de par sa sensibilité et son absence de concessions. Parfois stagnante, la mise en scène avait toutefois le parfum agréable d'une jeunesse prometteuse. Bonne nouvelle, Tomboy ("garçon manqué" en anglais) a les mêmes qualités : ici la jeune réalisatrice s'intéresse aux vacances d'été d'une petite fille qui se plait et se reconnaît plus en petit garçon. Si bien qu'il suffit d'une première rencontre, l'utilisation d'un masculin spontané (T'es nouveau ? Tu t'appelles comment ?) et l'envie de ne pas (plus) être un objet de foire quitte à s'inventer un sexe que l'on a pas en pâte à modeler. Laure change ainsi de repères, de copains, et de sexe à leurs yeux. Sous le soleil torride de l'été, on s'abandonne à ce que l'on aime, le foot torse nu en crachant par terre, la baignade de combat où les corps encore asexués mais pourtant refoulés de désir se frôlent et se choquent... Mickaël devient le double artificiel de Laure, et bientôt un secret partagé entre sœurs.
A hauteur d'enfant, Sciamma installe une mise en scène simple, complice, sans toutefois quitter les beaux yeux bleus de sa protagoniste perdue, qui préfère les robes et le maquillage sur les autres petites filles. La jeune Zoé Héran apporte beaucoup à l'efficacité du film. Sobre dans le jeu, jamais dans la dramatisation, l'actrice est une belle perle rare. Il faut dire qu'après le reflet d'une adolescence en quête de tout, Sciamma prend à nouveau un risque avec ce projet. Faisant des enfants les personnages principaux, elle parvient avec une réussite plutôt convaincante à trouver la vérité des situations narrées. Si certaines séquences se heurtent à la grande difficulté de diriger un enfant dans son comportement habituel (l'action-vérité pipi caca plombe quelque peu), la direction d'acteur et le choix de casting reste étonnant, à l'image de Lisa, très juste en jeune des quartiers qui s'éprend de Mickaël.
Jouant le suspens de situation, Tomboy se laisse regarder avec un plaisir non coupable, proposant une approche humaine de confidence, ici à parole d'enfant, qui donne un charme singulier au cinéma de Sciamma. Cependant, de même que pour Naissance des pieuvres, Tomboy se heurte quelque fois à une narration paresseuse qui peine à faire évoluer la situation. Particulièrement dans le collimateur ici, la place des parents, jamais vraiment très claires dans ses intentions - confidents ? maladroits ? absents ? - surtout pour le père, d'abord attachant puis à côté de la plaque dans sa conclusion (« Tout ira bien. D'ailleurs, tout va déjà bien... »). Alors que non. Mais jamais irritants, ces points faibles viennent surtout nuancer un petit film sincère, brouilleur de genre, témoin d'une jeune envie de cinéma qui fait bon à goûter, comme des bulles pétillantes dans une eau un peu plate.


Réalisé par Céline Sciamma
Avec Zoé Héran, Malonn Lévana, Jeanne Disson
Film français | Durée : 1h22
Date de sortie en France : 20 Avril 2011

Benny's Video

Benny est issu d'une famille bourgeoise. Il ne communique pas avec ses parents mais préfère plutôt perdre le sens des réalités dans sa passion pour la vidéo. Seul pour le week-end, il invite une fille croisée dans la rue à passer l'après-midi avec lui. Mais la rencontre prend une tournure dramatique... Il faut dire que Michael Haneke ne nous a pas habitué au plus tendre. Ici, il propose un film intéressant, sans aucune nuance une nouvelle fois, mais d'une radicalité dérangeante, quasi sensorielle, qui confère à Benny's Video cette même distance critique, le même regard sans concession sur une humanité affaiblie par ses propres leurres.
Benny est, à l'image de ses deux grand frères de Funny Games, un non personnage, un être vidé de toute émotion. Sur une autre planète, il ne réagit jamais mais demeure une éponge des films violents empruntés chez son loueur. Sur cette planète, plus rien est un drame car la morale a disparu. Ainsi, Haneke propose à son spectateur un meurtre, le fameux élément déclencheur, selon le regard même de cet adolescent déconnecté. Dans un écran de télévision, la fiction devient elle même génératrice de fiction. L'ambiance visuelle du film froide, bleutée, jamais contrastée, bascule le spectateur dans cette irréalité poison. Et ainsi, comme dans Funny Games, la violence n'est plus objet de la morale mais une provocation réactionnelle, que rien ne pourrait de toute façon justifier.
Ainsi, Haneke pose sa caméra comme selon les gestes de son personnage. En témoin distancé qui continue d'agacer certains cinéphiles, le cinéaste évacue toute moralité. Il souhaite rendre mal à l'aise, nous raconter une histoire trouée que notre propre regard doit pouvoir combler. Si dans Funny Games, les psychopathes provoquent directement face caméra les spectateurs, dans Benny's Video le réalisateur reste plus subtile, comme en retrait face à son propre film. Mais Haneke interpelle davantage lorsqu'il quitte Benny dans l'obscurité de sa chambre (bien que la porte reste entrouverte) pour se digérer vers les parents, mis au courant du drame par la vidéo, car cette famille n'a jamais su communiquer. Les figures parentales, bien que naturellement protectrices, sont les plus effrayantes du film. Discours froid dans le salon, que faire du corps ? Le découper en petits morceaux pour qu'il passe dans les tuyaux ? Inhumains et pourtant bien vivants, Haneke choque de par le naturel de sa mise en scène qui évite au mieux la démonstration pour privilégier la suggestion, bien plus horrible on le sait, qui prend ici la forme d'un voyage en Égypte pendant que joli papa joue de la boucherie dans la salle à manger. Toujours spectateur passif, pourtant Benny ressent le malheur sans toutefois le comprendre tout à fait, notamment lors de l'effondrement inattendu de sa mère, allongée sur un lit séparé, déjà morte. Puis vient le retournement, où fils et filles se retournent contre pères et mères leur criant à la figure : mais qu'avez vous fait de nous ? Il y a des accents de révolte proches de ceux de l'adolescent dans The Reader de Stephen Daldry, qui se pose cette même question générationnelle : comment vivre lorsque nos parents ont fauté ? Plus intime dans son sujet, mais autant dénonciateur dans le fond (l'Autriche reste profondément meurtrie dans le cinéma d'Haneke), Benny's Video s'observe plus qu'il ne se regarde, s'inflige plus qu'il ne plait mais s'impose lourdement dans la rétine et la mémoire.


Réalisé par Michael Haneke
Avec Arno Frisch, Angela Winkler, Ulrich Mühe
Film autrichien| Durée : 1h45
Date de sortie en France : 1992


En complément : la critique de Télérama.

19 avril 2011

Scream 4

Dix ans après Scream 3, Wes Craven revient sur la toile avec son célèbre ghostface, ce qui n'est pas pour déplaire aux fans de la série. Redonnant un succès public au slasher en 1996 avec le premier volet, Craven a su renouveler le genre issu des célèbres Halloween ou Black Christmas des années 70. Son goût de la dérision et du suspens a fait de la firme Scream la référence horrifique d'une génération (certains parlent même d'un nouveau genre, le néo-slasher). Si les critiques ont toujours plus ou moins dénigré ces psychopathes à arme blanche qui s'attaquent scrupuleusement aux jeunes et autres bondes platines sexy, le public semble très friand. Cette année, le retour de la malédiction de Woodsboro fera certainement de nouveaux adeptes.
Il faut dire qu'en dix ans, Craven n'a pas perdu la main. Et si les scénaristes semblent avoir compris qu'il fallait encore renouveler d'une génératation (le néo-néo-slasher ?), Scream 4 a cette même fougue, ce même plaisir avoué du morbide, des portraits insouciants d'une jeunesse dorée et hédoniste ici encore plus boulimique de popularité et de nouvelles technologies. Mais le slasher se réfléchit moins qu'il se laisse goinfrer des suspens à outrance et de la question insupportable dont l'obsession nous guide toujours sur de mauvaises pistes : mais qui est le tueur ?
Dans ce sens, Scream 4 fonctionne parfaitement, donnant la couleur dès une exposition jouissive sur l'enchainement des Stabs - double fictionnel des films Scream - dont l'engrenage est interminable mais hilarant. On se régale de revoir également les protagonistes fatigués des précédents volets qui, s'ils n'y connaissent rien à Facebook ou Twitter, comprennent rapidement que le zozo qui lance le remake sanglant est dangereux. Le film reprend ainsi les marques de fabrique qui avaient fait le succès de la série, en commençant par de nouvelles cheerleaders lumineuses de caricature (Hayden Pannettiere, Emma Roberts, Marielle Jaffe), de nouvelles séquences de suspens au goût de cache de cache et de devinettes cinéphiles (quel est ton film d'horreur préféré... ?), des répliques bien cinglantes ("T'es comme Michael Myers, tu crèves jamais", "Quand tu fais un remake, respecte au moins l'original"...) et un twist inattendu quoi que peu surprenant, qui arrive sans doute un peu maladroitement. Il faut dire que la production de ce volet a été le même chantier que le deuxième : fin du scénario écrit pendant le tournage, désistement d'acteurs faute d'emploi du temps... Toutefois, s'il faut cibler quelques nuances au retour du tueur masqué, il faudrait plutôt tirer sur l'évolution timide des "nouvelles règles" qui ne marquent pas tellement les esprits et le manque d'exploitation des nouvelles technologies pourtant annoncée à la promotion du film. Si le tueur filme ses crimes, on en voit les images que quelques secondes, autrement dit l'entreprise n'a aucun intérêt. Mieux vaut se souvenir de la séquence des caméras différées du précédent volet, reprises ici le différé en moins.... le suspens également. Plus reposé sur ses lauriers qu'il en avait l'air, Scream 4 reste quand même le très bon teenmovie du samedi soir que l'on attendait, un peu sanglant pour les allergiques mais si le cinéma c'est aussi du pop corn entre amis, celui ci est bien doré et croustillant.


Réalisé par Wes Craven
Avec Neve Campbell, David Arquette, Courteney Cox
Film américain | Durée : 1h50
Date de sortie en France : 13 Avril 2011

17 avril 2011

Essential Killing

Grand prix du jury à la Mostra de Venise en 2010, prix d'interprétation pour Vincent Gallo, Jerzy Skolimowski dégage un grand respect chez les critiques, cinquante ans après ses débuts avec Signes particuliers : néant, La Barrière ou Le Départ. Revenu en 2008, après une semi retraite, avec le drame éblouissant Quatre nuits avec Anna, le cinéaste polonais avait montré qu'il avait encore soif de pellicule, et bien raison de l'avoir. Essential Killing a ainsi tous les ingrédients pour se faire savourer.
Mais il faut avouer, malgré les éloges dithyrambiques de la presse, que ce survival objectif peut décevoir sur plusieurs points... Il reste néanmoins certain qu'on ne pourra reprocher à Essential Killing son audace et sa prise de risque. En effet, Skolimowski dirige l'œil de la caméra avec toujours cette même distance plus apolitique que réellement pudique - finalement on s'identifie rapidement à ce traqué sanguinaire - en soustrayant cela étant toute explication concrète (Quel pays de l'Europe de l'est ? Qui est cet homme ? Agit-il à la guerre par conviction ?). Le réalisateur se dénude de tout contexte polémique pour proposer une vraie immersion catharsique, une plongée dans l'enfer de cet évadé pour lequel on se surprend de compatir. Et cette plongée se fait à deux mille mètres de profondeur sans bouteille d'oxygène : d'un meurtre à la tronçonneuse à une séquence d'allaitement effroyable, Skolimowski n'épargne pas son spectateur qu'il met clairement à rude épreuve. Mais il n'épargne pas non plus une esthétique vraiment maitrisée, à l'image de ce décor désert de forêt glacée qui s'accorde parfois avec une cruelle harmonie à la psychologie même du personnage, comme la séquence de grimpe interminable, peut-être la plus belle et la plus parlante du film. Il se dénude aussi de dialogues (les voix sont toujours lointaines ou transmises à travers des appareils) et finalement de tout schéma cinématographique connu laissant sans cesse place à l'imprévisible, où des flashbacks métaphoriques croisent des visions du futur et où la mort guette chaque mouvement et chaque centimètre carré de ce décor hivernal. Skolimowski expérimente plutôt efficacement le genre du survival en n'offrant aucune autre alternative, aucune crise qui viendrait complexer le suspens original du film qui reste toujours le même : survivre, coûte que coûte.
Si ce regard posé sur l'instinct de survie interpelle les sens, l'expérience Essential Killing ne va pour autant pas au-delà. Bien que court (1h20), la narration se heurte souvent à un mou partiel qui vient quelque fois tuer un rythme pourtant soutenu dans toute la première partie du film. Des séquences de survie viennent ainsi remplir, narrer la situation désastreuse de son protagoniste sans pour autant proposer un réel intérêt. Si le suspens demeure, le scénario donne l'amère frustration de ne pas creuser plus ce personnage qui se cantonne à cet exercice de style de rester blanchi - survivre oui, mais pourquoi ? - si bien que le dénouement arrive comme un cheveu sur la soupe sans pour autant étouffer son consommateur.
Intéressant, quoi que légèrement suffisant, Essential Killing se laisse surtout voir pour l'interprétation géniale de Vincent Gallo qui vient gommer le jusqu'au boutisme froidement cloisonné du film, à la fois son plus grand mérite et défaut car l'idée se mord en fin ce compte un peu la queue.


Réalisé par Jerzy Skolimowski
Avec Vincent Gallo, Emmanuelle Seigner, Nicolai Cleve Broch
Film polonais, irlandais, français, norvégien, hongrois | Durée : 1h23
Date de sortie en France : 06 Avril 2011

3 avril 2011

Easy Money

A travers son affiche, son titre et même son synopsis, autant dire qu'en apparence Easy Money n'attire pas vraiment l'intention et surprendrait même de ne pas faire figurer le nom de Statham en guest stars. Mais à s'y approcher de plus près, on comprend qu'il est en fait question d'un film suédois, même l'un des plus grands succès cinématographiques du pays. De plus en plus prisé par les Etats-Unis (le chef d'œuvre de Tomas Alfredson Morse et la saga Millénium ont déjà le droit a un remake), le cinéma suédois contemporain commence à se faire sérieusement un nom en Europe et Outre Atlantique. Et ce curieux Easy Money ne viendra pas nuancer la donne.
Le scénario emprunte les bases du film chorale : trois personnages, d'abord éloignés, se lient les uns aux autres, les uns contre les autres, jusqu'au paroxysme inévitable qui fait exploser la cocotte minute. JW, brillant étudiant en école de commerce, beau de surcroit, bascule peu à peu dans le crime organisé devenant la tête pensante et bancaire d'une bande spécialisée dans le trafic de cocaïne. Jorge, qui vient de s'échapper de prison, veut y organiser un dernier grand coup avant de partir. Mrado, un tueur à gages expérimenté, est chargé de suivre Jorge.
La première grande force d'Easy Money est son scénario implacable, qui parvient sans faute à humaniser ses protagonistes. Joel Kinnaman est à la mesure de son personnage, d'abord naïvement attiré par l'argent facile puis rattrapé par une conscience douloureuse et bientôt insurmontable. En passant des étoiles dans les pupilles au regard figé, témoin de sa propre autodestruction, l'acteur signe une interprétation impeccable. Lueur éblouissante dans un gouffre à l'obscurité déjà irréversible, les attaches sentimentales sont traitées avec une justesse rare dans ce genre de film. Déringardisant le lever de soleil pour les déclarations d'amour, le réalisateur Daniel Espinosa parvient également à donner une cruauté frappante à la famille proche de Jorge, futur oncle touchant mais incapable d'aimer sans détruire, et à ce lien effroyable entre Mrado et sa petite fille tant puissant que moralement honteux. Tous trois en guerre les uns envers les autres, plus en guerre contre eux mêmes en vérité, ces trois figures de la grande corruption sont brossés en vrais portraits de cinéma, comme trois hommes qui laissent impunément couler entre leurs doigts ensanglantés l'amour qui leur est possible.
La mise en scène très sur le vif, sans cesse caméra épaule, accroche et dynamise le récit sans temps mort. Mais cette mise en scène, très inspirée pour dire vrai, convainc surtout dans certaines séquences isolées, étrangement plus calmes. Montage brisé, cadres décentrés, Espinosa offre des passages à l'esthétique intéressante (le plus assumé étant assurément la révélation de JW au musée, qui parvient à donner de la grâce aux faux raccords). Si la forme reste tout de même assez conventionnelle, on ne pourra pas reprocher à Easy Money sa mesure dans la violence et les sentiments humains. Marque heureuse d'un cinéma suédois visiblement très en forme, celle un peu moins d'un pays qui ne semble pas aussi idéal comme souvent présenté, Easy Money fonctionne de par son jusqu'au boutisme, et n'a pas à rougir face à ses références ni face à l'industrie internationale qui aurait tort de ne pas lui tendre la main...


Réalisé par Daniel Espinosa
Avec Joel Kinnaman, Matias Padin, Dragomir Mrsic
Film suédois | Durée : 2h04
Date de sortie en France : 30 Mars 2011

2 avril 2011

The Company Men

Bobby a une belle maison, une Porsche dans le garage, une femme aimante et deux enfants. Mais voilà, un beau matin sa cravate ne fait qu'un tour : licencié par son entreprise soumise à un Dow Jones malade et les suppressions de personnels qui en découlent, il se retrouve chez lui au chômage. Comme beaucoup d'autres, bientôt Phil et Gene, deux autres collèges haut placés connaissent le même sort. Crise quand tu nous tiens...
John Wells, dont c'est la première réalisation au cinéma, signe un film humain, et au combien bienvenue dans une production américaine contemporaine trop pauvre de ce genre de film social. De plus, le casting a de quoi séduire : Ben Affleck, Tommy Lee Jones, Chris Cooper et même Kevin Costner se croisent à travers un récit assez simple. The Company Men s'attache en effet à des figures importantes d'une entreprise fictive, des ordinaires d'une classe aisée dont il est assez plaisant de voir remettre en cause. Car le film de Wells a un bel atout au démarrage : mettre en péril le destin des grands patrons millionnaires, et celui même de la structure économique de la plus grande puissance mondiale.
Déjà pertinent, le scénario joue la carte de la sobriété. Bobby, attaché à sa précédente vie, redescend doucement de sa bulle aidé par sa femme (parfaite Rosemarie DeWitt) tandis que les jadis directeurs prennent peu à peu conscience de la nostalgie de leur début dans l'ère industrielle. Si ce retrait vis à vis d'un cinéma dramatique est honorable, la distance émotionnelle semble un peu poussée. Ainsi, faute d'émotions pleinement mises en avant, la parallèle de la mise en scène peine souvent à satisfaire. Sans doute trop pudique humainement, le récit de The Company Men empêche au film de trouver des moments de grâce là où il ne propose que des séquences certes travaillées, mais à la dimension humaine négligée. A défaut ne pas trahir un public respecté, Wells semble un peu hésitant (les couples de Phil et Gene, pourtant meurtris, ne sont jamais sujets d'intérêt) et se concentre peut être trop sur ses figures masculines. A y regarder de plus près, les rares séquences émotionnelles sont pourtant les plus réussies, notamment celles de Bobby rassurant un fils délaissé ou se faisant pardonner auprès de sa femme sacrifiée. On reste ainsi frustré du peu de potentiel exploité chez les acteurs, que l'on connait pourtant très bons.
Heureusement, The Compagny Men est moins hésitant politiquement, assumant le propos de bout en bout jusqu'aux scènes où le grand patron apparait aussi inhumain et froid qu'un immeuble. Le film, malgré sa prudence, conserve une élégance agréable, évidemment pertinente, qui replace l'homme et son costard à sa hauteur, autrement dit aussi minuscule que devant les grattes-ciels qu'il construit. A l'heure ou les bourses et les chiffres régissent un monde qui tourne à toute vitesse, The Compagny Men vient avec une fausse naïveté nous rappeler que l'humain n'a pas de prix, et que le rêve américain coûte cher en dollars et moralité. Surprenant, ce film encore pudique reste néanmoins une jolie et précieuse réussite ; à en faire regretter que l'Amérique et ses dollars ne se regarde pas plus souvent dans le miroir universel des toiles de cinéma.


Réalisé par John Wells
Avec Tommy Lee Jones, Ben Affleck, Chris Cooper
Film américain, britannique | Durée : 1h52
Date de sortie en France : 30 Mars 2011

Sucker Punch

Baigné de culture populaire, du cinéma aux comics et jeux vidéos, après l'intraitable Armée des morts, 300 et Watchmen, Zack Snyder revient avec une superproduction. Laissant de côté les grands et musclés spartiates, cette fois le réalisateur met en scène de jeunes demoiselles cloisonnées tant dans leur pseudo hôpital psychiatrique que dans leur petites tenues serrées... c'est soit noir soit blanc ! Accueil plutôt partagé de la critique, un peu moins chez les spectateurs, néanmoins Sucker Punch reste appréciable dans ce qu'il propose : un entertainment surdosé à la moralité secondaire.
Mettons de côté tout de suite son scénario, complétement foiré bien que lui aussi secondaire. Une jeune fille tue accidentellement sa petite sœur, visant en fait un père dangereux, et se retrouve dans un hôpital psychiatrique dirigé par un malade aussi, un bon concurrent, qui abuse de ses petites pensionnaires... Dans cet environnement pour le moins glauque, les filles s'imaginent dans un bordel plus luxueux, et dans un monde parallèle où elles sont de parfaites héroïnes de jeux vidéos lors de leurs trips sensoriels dans le but de s'enfuir. Voilà ce qu'il reste de l'intrigue. Il serait malhonnête de fermer les yeux sur la pauvreté du récit, car si Sucker Punch propose d'autres facettes intéressantes, il n'en reste pas moins un divertissement qui faute par son incohérence. Un scénario plus probable, moins haché menu au service des séquences d'action, aurait rendu le tout plus crédible... et plus évident à défendre.
Car il y a dans ce Sucker Punch, malgré tout, une invitation à l'évasion décérébrée, cette incitation propre à ce cinéma de provoquer les sens au détriment d'une pertinence de fond. Et une vraie esthétique, qui fonctionne dés une séquence d'exposition qui pioche dans le clip musical ce qu'il y a de meilleur. Si on peut reprocher au film le manque de variétés dans ses passages d'action pure – les plus intéressants évidemment – il est plus difficile de revenir sur leur implacable technicité, où les ralentis donnent une vraie forme saisissante, loin du manque d'inspiration de 300 et sa boulimie sanguine. La musique, très branchée, peut-être trop, participe pour autant à l'ultra modernité du spectacle, dont on retiendra surtout celui des tranchées aussi anachronique que jouissif et déluré.
Si les geeks ne bouderont certainement pas le voyage, Sucker Punch joue pourtant avec le feu avec ses nombreuses négligences, y compris dans ses dialogues parfois au seuil de la nullité (« Dis à maman que je l'aime », « Le dernier élément mais... c'est moi », etc...). Certainement pas prêt de prendre la place d'un Watchmen respecté, le nouveau délire de Snyder donne très bien ce qu'il promettait de donner, sans primes ou pourboires.


Réalisé par Zack Snyder
Avec Emily Browning, Abbie Cornish, Jena Malone
Film américain | Durée : 1h50
Date de sortie en France : 30 Mars 2011

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