30 décembre 2011

Hugo Cabret

Après l'adaptation de Shutter Island, le géant Martin Scorsese met ici en images le roman d'Hugo Cabret. Budget olympique, technologie 3D à l'appui, le film est le blockbuster de fin d'année. Mais très agréablement, il est aussi un conte de pure fantaisie sous forme d'hommage au cinéma des premiers temps, dans lequel le septième art est la clé de l'aventure.
On connaît pourtant le réalisateur américain sous des jours plus sombres : auréolés de récompenses, il aura notamment marqué le film de gangsters à travers des chefs-d’œuvre incontournables (Mean Streets, Les Affranchis, Casino, Les Infiltrés) ou le genre du biopic (Raging Bull, Aviator) . Mais ayant toujours équilibré sa carrière entre des films populaires ou plus exigeants, il n'est pas surprenant de revoir le cinéaste dans ce nouvel exercice. En retraçant la vie d'Howard Hughes dans Aviator, Scorsese flirtait déjà avec l'hommage : Hugo Cabret est l'accomplissement de cette déclaration d'amour. Après la mort prématurée de son père, le petit Hugo vit dans une gare parisienne où il s'occupe des horloges. Mais en réalité, il n'a de cesse de faire réparer un automate que lui a confié son père, un automate qui le poussera à rencontrer l'un des premiers réalisateurs de cinéma et à donner un sens à sa vie. Le témoignage qui transpire du film est évident ; mieux, il est - pour le plus grand plaisir du spectateur - superbement mis en image, mêlant à l'artifice travaillé de sa photographie un relief étonnant. Accompagné de mouvements de caméra renversants notamment dans toute sa première partie, la forme n'épargne pour autant pas un jeu léché de la part des jeunes comédiens et des pionniers (Ben Kingsley, Sacha Baron Cohen, Christopher Lee). L'émotion trouve son foyer tant dans la magnificence de la mise en scène quand dans l'interprétation sensible des comédiens. Et il est bel et bien question d'émotions dans Hugo Cabret : parcours de l'enfant seul à la quête de sa propre identité, les rêves oubliés que l'art vient soudain projeter et faire renaître... Scorsese signe une très belle ode au cinéma et à l'évasion, offrant à Georges Méliès la considération qu'il mérité dans le cœur des spectateurs que nous sommes tous.
Cet hommage risque cependant d'ennuyer son jeune public, la promotion du film étant faussement axée sur l'entertainment-movie de tout âge. Les adultes goûteront certainement plus leur plaisir que les enfants, car dans ses faux airs de film à spectacle Scorsese réalise un vrai conte personnel aux ambitions artistiques marquées. Comme un burlesque à la mélancolie plus soulignée, Hugo Cabret s'ouvre vers un imaginaire auquel les plus âgés seront certainement plus sensibles. La narration en douce progression, malgré son parti pris, frôle d'ailleurs souvent l'arythmie, les deux heures du film ayant peut-être pu être raccourcies.
Mais reste dans cette fable une poésie néanmoins tout public qui se conclut sur un « il était une fois » éternel et que l'on espère inépuisable. Car dans cette gare où les gens et les destins se croisent, deux inventions intimement liées semblent dans le cliquetis de leurs rouages incessants ne jamais s'arrêter ; d'une part le train qui fait voyager le corps, d'une autre le cinéma qui fait voyager l'esprit. Mais toutes deux font voyager le cœur, et ça, Méliès comme Scorsese semblent l'avoir bien compris.


Réalisé par Martin Scorsese
Avec Asa Butterfield, Ben Kingsley, Sacha Baron Cohen
Film américain | Durée : 2h08
Date de sortie en France : 14 Décembre 2011

29 décembre 2011

Intouchables

Avec un peu plus de 15 millions de recettes au second mois, Intouchables est devenu le meilleur succès de l'année en France et, on peut le dire, un phénomène qui n'est pas sans rappeler Bienvenue chez les Ch'tis en 2008. Comédie hilarante pour la majorité, souvenir d'une mièvre escroquerie pour d'autres, une chose est sûre, le film d'Eric Toledano et d'Olivier Nakache sera cette fois plus difficile à attaquer que celui de Dany Boon. Inspiré du documentaire A la vie, à la mort réalisé pour France Télévisions en 2003, Intouchables retrace le parcours de Philippe Pozzo di Borgo et de son auxiliaire de vie Abdel Sellou en se concentrant sur cette rencontre singulière entre un riche parisien tétraplégique et un jeune de cité.
De la même façon que Je préfère qu'on reste amis... en 2005 et Tellement proches en 2009, le film de Toledano et de Nakache est une vraie comédie. En optant pour le rire dédramatisant – postulat de départ de La Guerre est déclarée de Valérie Donzelli – Intouchables trouve rapidement le bon ton grâce à son tandem de comédiens excellents. Omar Sy en guignol impertinent se marie naturellement avec François Cluzet, jamais dans la surenchère de jeu, ici étonnant de sobriété. Mais la recette du succès populaire était déjà toute trouvée dans le scénario même. Driss, prisme du public populaire, rentre dans le milieu huppé de Philippe pour s'en moquer : une identification parfaite et d'actualité dans un pays qui, croulé sous les formalités, aspire à un peu plus de laisser-aller et de permis de vivre. Bienvenue chez les Ch'tis s'articulait déjà autour du transfert d'un personnage dans un milieu inconnu (le sudiste dans le pôle nord de la France) dans lequel il découvrait aussi une certaine simplicité oubliée. Mais si Boon ne s'écarte jamais vraiment du rire potache (le one-man movie en quelque sorte), Intouchables semble aller un peu plus loin. Le film est risqué car il confronte bien entendu des clichés. Derrière son appel d'air « inspiré d'une histoire vraie », cette histoire – toute aussi rationnelle soit-elle – aurait pu s'écraser dans un pathos de bons sentiments. Mais si les bonnes intentions ne font pas d'elles-mêmes des bons films, elles n'en font pas moins systématiquement des mauvais. Dans son humour populaire mais rythmé, sa pudeur étonnante qui craquelle aux bons moments, Intouchables est une vraie réussite de fond, jamais abrutissante dans l'émotion mais sensible dans sa bonne humeur latente ; en promenade nocturne dans Paris, en volant en parapente en montagne ou simplement en fumant sur un joint et faire la nique aux principes.
L'éloignement des archétypes est bien visé : pas de scènes larmoyantes où Driss sauve le cocon familial avec son argent, pas de reconquête de Philippe, le film se concluant avec raison vers les départs nouveaux... Mais en quasi connivence, la forme filmique ne montre pas ou peu d'ambitions, et frôle souvent la bonne règle (les plans grue un peu nombreux, la musique de remplissage).
Mais d'une façon ou d'une autre, aussi éloigné de l'idée que chacun est libre de se faire sur la définition d'un bon film, Intouchables n'est pas un succès populaire à déplorer (il y en a t-il vraiment ?). Car à hauteur d'homme et de spectateur, cette comédie souriante raconte de belles choses sans en évoquer de mauvaises ; ce qui représente déjà un petit succès en soi.


Réalisé par Eric Toledano et Olivier Nakache
Avec François Cluzet, Omar Sy, Anne Le Ny
Film français | Durée : 1h52
Date de sortie en France : 02 Novembre 2011

18 décembre 2011

Mission : Impossible - Protocole fantôme

Autant dire qu'avec ses spots promo sponsorisés Coca-Cola Zéro, Mission : Impossible 4 ne vendait pas beaucoup de rêve... Quel dommage ! Le nouveau blockbuster de la Paramount est pourtant une vraie réussite de genre. Ethan Hunt (Tom Cruise) part ainsi pour une nouvelle mission, accompagné cette fois de trois nouveaux agents (Jeremy Renner, Simon Pegg, Paula Patton). Dubaï, Vancouver, Prague, Moscou, Mumbaï... ce nouveau Mission Impossible est un pur spectacle de divertissement et d'évasion qui semble avoir la bonne idée d'emprunter énergiquement les codes établis. Intrigue classique - la fin du monde à éviter est nucléaire – le film se consomme pour ce qu'il est, de la vitamine C dont le second degré permet une consommation sans modération. Car c'est sans doute le grand atout de ce quatrième volet : tout en mettant à l'image le budget colossal de sa production pour ne pas trahir son spectateur, le film ne se prend jamais trop au sérieux, ni pas assez.
Brad Bird, tout droit venu des studios Pixar, semble en effet avoir trouvé un équilibre honnête. Si l'action ne s'arrête jamais vraiment, la mise en scène ne tend pas dans le montage épileptique. Le rythme, évidemment rôdé comme une usine, n'ennuiera personne. Première surprise : les séquences d'action sont brillantes. Bien huilée par une séquence virtuelle de jeu-vidéo dans la prison, la machine propose du beau spectacle. Les plus impressionnantes restant celles du gratte-ciel de Dubaï (à éviter pour ceux ayant le vertige) ou la course-poursuite dans la tempête de sable qui réemprunte une esthétique virtuelle. Bird n'est pas là pour révolutionner le genre : en bon élève, il s'adapte et parvient à maitriser son suspens. Un des passages les plus étonnants est celui de la toile écran qui reflète un faux fond, que poussent peu à peu Ethan Hunt et Benji Dunn : pour une fois derrière l'écran, le spectateur est celui que l'ennemi regarde sans voir. Jouant sur des sensations diverses - on ne rentre jamais pour autant dans la métaphore - comme celle désormais célèbre du travelling de course dans un décor qui explose (le plan d'Abrams sur le pont dans le troisième volet restera le plus saisissant), le film propose un spectacle tout en se souciant de son spectateur. Si la mise en scène reste d'une certaine manière strictement académique et n'empêchera pas pour les moins naïfs l'impression de déjà-vu, elle reste toutefois d'une grande efficacité.
Le casting fait le job, mais c'est surtout Cruise qui crève évidemment l'écran, tant dans ses prouesses physiques que dans son recul vis à vis de lui-même (la séquence des poubelles est une perle), style nouveau depuis Tonnerre sous les Tropiques. Seule déception avec une Léa Seydoux négligée et peu consistante, à l'image de l'intrigue de vengeance féminine qui n'arrive malheureusement pas à trouver sa place dans le scénario.
Honnête et divertissant, Mission : Impossible – Protocole fantôme est toutefois une bonne surprise qui ravira les amateurs de suspens et de vertige, finalement assez éloignée du produit de pur label que l'on pouvait en attendre. Le plaisir pas trop coupable de fin d'année.


Réalisé par Brad Bird
Avec Tom Cruise, Jeremy Renner, Simon Pegg
Film américain | Durée : 2h13
Date de sortie en France : 14 Décembre 2011

17 décembre 2011

Carnage

Le garçon de Nancy et Alan (Kate Winslet – Christoph Waltz) blesse celui de Penelope et Michael (Jodie Foster – John C. Reilly) lors d'une bagarre. Les deux couples se rencontrent pour la première fois afin de faire un constat à l'amiable. Mais très vite, la situation va s'envenimer...
C'est le nouveau film de Roman Polanski, filmé en huit-clos et adapté d'une pièce de théâtre française par sa propre dramaturge,Yasmina Reza. Cinéaste ovationné tant par la critique que par le public - malgré ses nombreux déboires personnels - de Chinatown à Tess ou de La Neuvième Porte au Pianiste, Polanski est déjà l'auteur d'une filmographie importante et reconnue. Après le succès du thriller politique The Ghost Writer, Carnage change de registre. Théâtre filmé dans une pièce unique et restreinte (le salon de Penelope et Michael), le film réunit un quatuor d'acteurs brillants. Et c'est tant mieux, voire heureusement, car ce dernier se présente avant tout comme une métrage de jeu : vaudeville comique et ironique, brillant dans son regard acéré sur les relations humaines et sociales, les quatre-vingt minutes de Carnage ne se boudent pas. D'abord respectueuse et convenue, la relation entre les deux couples se dégénère et tout le monde tire bientôt sur tout le monde : l'écriture empirique se mêle parfaitement à l'interprétation précise des comédiens. Jodie Foster, femme de principes convaincue, raffinée (son goût pour l'art) et concernée humainement (sa passion pour l'Afrique) explose rapidement sur Kate Winslet, mère de famille élégante mais lassée et fatiguée par un mari obsédé par son travail : Christoph Waltz, avocat vereux et nonchalant qui finit pourtant par se lier d'amitié avec John C. Reilly, un bon vivant peu ambitieux qui exaspère sa femme. Les acteurs offrent une partition parfaite et variée, bien alcoolisée, qui donne au fond le charme du film.
Car dans sa contrainte spatiale intéressante, Polanski installe une mise en scène, certes efficace, mais finalement peu attractive. Cadres fixes, découpage travaillé, la forme cinématographique joue la carte de la sobriété précise : trouvant sa seule originalité dans quelques utilisations ponctuelles de miroirs et des compositions intéressantes, c'est un Polanski discret que l'on retrouve ici, bien plus en qualité de directeur d'acteur que dans l'esthète qu'on lui connait.
Plaisante quoi qu'un peu téléphonée, l'adaptation est réussie au sens où tout le potentiel de l'œuvre originale semble conservé. Mais sans se vouloir comme un média supplémentaire et enrichissant, le cinéma est surtout ici un moyen de populariser la pièce à un large public. Évitant la déception dans son savoir-faire évident, Carnage ne marquera pour autant pas les esprits ou les rétines, surtout dans son dénouement inexistant qui vient déséquilibrer une narration pourtant fluide ; pour servir finalement une parenthèse polanskienne à ne pas bouder, qui reste cependant ce qu'elle est.


Réalisé par Roman Polanski
Avec Jodie Foster, Kate Winslet, Christoph Waltz
Film français, polonais | Durée : 1h20
Date de sortie en France : 07 Décembre 2011

11 novembre 2011

Contagion

Un virus mortel crée une pandémie catastrophique dans le monde entier ; au Centre de Prévention et de Contrôle des Maladies, Cheever (Laurence Fishburne) est obligé de dépêcher sur place en Asie le docteur Erin Mears (Kate Winslet), malgré les risques. Alors que les scientifiques s'efforcent à trouver un vaccin, un vent de panique parcoure le monde. Après la mort de sa femme et de son fils, Mitch Emhoff (Matt Damon) vit reclus chez lui avec sa fille, faisant face aux débordements d'une population angoissée. Tout ceci tandis que le docteur Leonora Orantes (Marion Cotillard) est pris en otage dans un petit village pour que ses habitants appauvris soient soignés en premier, et qu'Alan Krumwiede (Jude Law), journaliste raté, crée la panique en conspirant sur le gouvernement via son blog Internet.
Voilà pour l'intrigue général du nouveau film chorale de Steven Soderbergh. Aussi productif que singulier dans le paysage américain, ce cinéaste précoce - Palme d'Or dès son premier long avec Sexe, mensonges et vidéo - a varié de façon surprenante au cours de sa carrière d'un cinéma exigeant (Bubble, Schizopolis...) à des films plus classiques mais non moins travaillés (la suite des Ocean's Eleven, la grand succès de Traffic en 2001 et récemment le diptyque de Che Guevera et The Informant !). Contagion, sa vingt-deuxième réalisation (et pas moins de production à la clef), n'a pourtant pas la maitrise du maître que l'on pouvait attendre. Surprenant mais inégal, le film se heurte à nombre d'écueils qui empêchent la parfaite appréciation.
L'un des « bons points » est cela étant de proposer un spectacle qui se veut l'envers d'un blockbuster classique. A hauteur d'homme, Soderbergh s'intéresse avant tout à l'humain, dont il multiplie les figures en optant pour une forme alternée entre ses protagonistes. Pas de grandes envolées de mise en scène avec action de panique générale et des milliers de figurants et autres explosions de vandalisme. Contagion s'intéresse surtout – et avec justesse – aux réactions humaines. De Cheever, confronté aux remords d'envoyer un médecin vers la mort et de privilégier sa famille, à Mitch intériorisant tout son chagrin pour se faire la figure d'un père fort devant sa fille... tous les personnages sont affaiblis par un sort qui les dépasse mais qu'ils sont dans l'obligation d'encaisser. Aucun héros qui inspire la confiance ici : avec audace, l'Amérique apparaît fragilisée, ouverte à ses frontières car face à la catastrophe, il n'apparait qu'un seul humain, parfois vile (le personnage de Krumwiede et sa soif de polémique), parfois aux sommets du courage (le docteur Erin Mears qui se sacrifiera). Le tout pour un portrait froidement réaliste qui remet l'homme à sa place et propose un regard contemporain sur nos sociétés modernes.
Mais malheureusement, le rythme ne prend jamais. Le plus frustrant est que le casting étoilé donne l'impression de ne pas donner tout son potentiel. Le personnage de Cotillard, inutile, est passé à la trappe et disparaît pendant une bonne heure du film tandis que celui de Jude Law n'est jamais clair dans son approche. Évidemment la déconstruction se veut le témoin de la panique, mais ici la forme trop extrême est inadaptée. Et certaines maladresses de goût qui desservent le propos (le mal qui vient d'Asie, l'Amérique qui sauve le monde avec son vaccin) déséquilibrent un film qui aurait pu être un choc dans sa maitrise visuelle surprenante et l'interprétation de ses acteurs , mais qui s'abandonne finalement à une facilité de fond qui ne parvient jamais vraiment à toucher l'émotion ou une quelconque catharsis. Objet de paranoïa chronique, Contagion, après vision, bourdonne dans la tête lorsqu'on aurait souhaité être confronté à un miroir heurtant. Sans être un échec, le film déçoit beaucoup sans réellement déplaire. Oubliable, en somme.


Réalisé par Steven Soderbergh
Avec Marion Cotillard, Matt Damon, Laurence Fishburne
Film américain | Durée : 1h46
Date de sortie en France : 09 Novembre 2011

31 octobre 2011

Polisse

Après Pardonnez-moi et Le Bal des actrices, Maïwenn signe un troisième film auréolé d'un prix du Jury à Cannes en guise de promotion. Polisse raconte le quotidien des policiers de la BPM de Paris – Brigade de Protection des Mineurs – entouré d'acteurs désormais fidèles à sa réalisatrice (Karin Viard, Marina Foïs, Joeystarr...). Maïwenn, bien accueillie par la critique depuis son premier long, propose un cinéma réaliste, parfois sensible, parfois au bord de l'hystérie, parfois drôle. Polisse vient prouver une certaine cohérence à cette ligne de conduite : inspirée par un reportage télévisé, Maïwenn réalise un film fort, très imparfait, mais qui semble étrangement se nourrir de ses fêlures.
Caméra à l'épaule en multicams, jeu très libre des acteurs, le style de Maïwenn peut agacer de par sa radicalité de forme. Les situations très atypiques des interrogatoires rappellent parfois celles des Bureaux de Dieu. Proche de la forme télévisuelle (ou du journal intime amateur dans Pardonnez-moi), la quête obsessionnelle de la vérité à travers la saisie des instants, entraine souvent la cinéaste à brouiller les frontières. En mettant en scène ce qui s'y passe en temps normal, Polisse cherche à capter, de par sa caméra toujours très proche de ses personnages, l'émotion juste ; qu'elle soit belle et assimilée par le spectateur (l'histoire d'amour, la haine de Fred face à l'individualisme) ou la plus surprenante d'humanité (les éclats de rire nerveux, la relation à fleur de peau entre Nadine et Iris...). Et si Maïwenn sort de cette épreuve avec un prix à Cannes, il n'est pas démérité.
A l'instar de ses deux précédents films, Polisse se présente comme un bordel bien organisé. Avec un montage purement chronologique, la réalisatrice fait marier ses séquences dans un éclectisme perturbant mais à la droite justesse de l'émotion. En voulant trop en dire et trop faire partager dans un condensé fragile de fragments de vie, la mise en scène est poignante même lorsqu'elle frôle les limites. C'est un peu la force de Maïwenn : ne s'accorder aucune barrière, sans craindre ni la singularité filmique ni l'adhésion de son spectateur. Seule la conviction semble compter dans cette déstructure qui joue au yoyo avec l'affect, et qui reflète sans doute beaucoup ce que nous sommes. Avec cette brigade des mineurs, Maïwenn semble ainsi avoir trouvé le terrain de jeu idéal à ses envies créatrices : en suivant ces adultes qui se doivent de rester forts à longueur de temps, Polisse fait briller les grandes forces (cette fameuse dignité) et fragilités de l'être humain.
Plus en retrait, le personnage de Maïwenn gagne ici en humilité même si le caméo ne présente que peu d'intérêt si ce n'est sa mise en abime elle-même redondante (photographe / cinéaste, bon). Et même si le film ose sans doute à tort un dénouement choc – la fin avait-elle besoin de cette dramatisation ? - en délivrant l'enfance d'un mal que les personnages et les spectateurs absorbent jusqu'à saturation, Polisse se tire de cette affaire étriquée avec des hommages émus ; ceux réservés aux œuvres les plus cruellement douces.


Réalisé par Maïwenn
Avec Karin Viard, Joey Starr, Marina Foïs
Film français | Durée : 2h07
Date de sortie en France : 19 Octobre 2011

29 octobre 2011

Les Aventures de Tintin : Le Secret de la licorne

Le nouveau fantasme du géant Spielberg voit enfin le jour : mettre en images le héros de bande-dessinée Tintin dans un blockbuster dernier cri. Le défi semble colossal, mais c'est sans compter qu'il est pris en main par l'un des plus grands créateurs d'imaginaires du continent.
Croisement entre un Indiana Jones européen et une motion capture saisissante, Les Aventures de Tintin : Le Secret de la licorne ne fait pas l'économie des moyens. Vire-voltage entre la France, le Maroc et l'Océan Atlantique, que cela soit sur un bateau, un avion ou en tyrolienne avec une roue de side car (et quelques fois sur terre quand même), la nouvelle aventure de Spielberg se goûte avec un plaisir sans limite.
Si visuellement l'approche technologique pouvait inquiéter, il serait dommage de passer à côté de cet incroyable travail d'animation, à la fois pétrifiant de réalisme mais d'une artificialité bucolique. Sans atteindre la magie euphorisante du Pôle Express de Zemeckis, la motion capture bascule le spectateur dans une dimension nouvelle qui frôle l'illusion jusqu'au relief (quel effet sensationnel sur l'eau !). Tout est fait pour que l'évasion soit totale. Aidée par un travail colossal sur le son, dans ce sens la mise en scène est une parfaite réussite.
Il y a donc un réel savoir faire, Spielberg n'étant pas le plus mal accompagné des cinéastes américains (on retrouve une nouvelle fois Janusz Kaminski à la photographie, Michael Kahn au montage, John Williams à la musique...). Et si le risque que représente l'adaptation de la bande dessinée belge est vite comblé par sa réadaptation naturelle dans les codes du blockbuster, Tintin trouve bien une réelle identité entre les mains du célèbre réalisateur. Maitre du jeu dans certaines séquences hallucinantes (le crash de l'avion, la course contre l'oiseau, le duel de bateau) et compagnon de jeu à un entourage attachant (Milou, les Dupondt, Haddock), il est adopté.
C'est plutôt la boulimie incessante du film qui l'est moins facilement. Testostéronée et ne laissant jamais la place ni à une figure féminine à part la castafiore caricaturée (?) ni à quelconques moments de soufflement, la mise en scène reste limitée. De par son rythme effréné et fatigant, mouvements d'appareils et autres cascades grandiloquentes parviennent à lasser par usure. En amenant son spectateur jusqu'à l'aérophagie abrutissante, Spielberg perd sans doute en subtilité à vouloir à tout pris montrer que Tintin est un héros d'action. Et incontestablement de la tension dramatique en ne proposant qu'un pseudo dénouement qui ne sert que de teasing.
Surdosé mais – il faut le dire – bien foutu, Les Aventures de Tintin ravira les enfants et tous les amateurs d'adrénaline forte acidulée au pop-corn. Pour les autres, les regards se tournent vers un Cheval de guerre imminent.


Réalisé par Steven Spielberg
Avec Jamie Bell, Andy Serkis, Daniel Craig
Film américain, néo-zélandais | Durée : 1h47
Date de sortie en France : 26 Octobre 2011

27 octobre 2011

The Artist

Après ses deux épiques OSS 117, Michel Hazanavicius a frappé fort la croisette avec The Artist, film hommage à l'Hollywood muet d'antan. Donnant une nouvelle fois à Jean Dujardin le rôle vedette accompagné par Bérénice Bejo, le réalisateur signe un film étonnant et passionné.
George Valentin est une grande vedette américaine du cinéma muet, mais la fin des années 20 sonne le glas de sa carrière : l'arrivée du parlant avec un certain Chanteur de jazz, convainc les producteurs à évoluer leur technique. Valentin voit alors sa notoriété disparaître au profit des nouvelles stars du parlant, dont Peppy Miller, une jeune figurante rencontrée passionnément sur un plateau de tournage.
Évidemment, l'intrigue sert de pilier au pari fou de réaliser un film muet en noir et blanc à une époque où la pellicule commence déjà à devenir obsolète. Il y a beaucoup de nostalgie dans la démarche artistique d'Hazanavicius, c'est certain, mais c'est surtout dans la demi teinte bien équilibrée du film que The Artist parvient à séduire : pastiche sans tomber dans la parodie ou la caricature, le réalisateur préfère une repensée moderne de la forme plutôt qu'un simple clin d'œil fil rouge de cinéphile. Le résultat est à la hauteur des attentes. Multipliant les idées de mise en scène (la rencontre en danse, le plan filmé en plusieurs prises, l'oppression du son dans la séquence du rêve, le porte manteau qui prend vie...), et en stimulant le regard de son spectateur, The Artist n'est donc pas qu'un simple essai qui n'aurait de qualité que le fond. Réadaptation de nombreuses références en passant de Lubitsch à Lang, le film tend à innover tout en se présentant comme le point final d'une phrase déjà bien terminée. Ainsi, là on pouvait attendre une parodie à la Mel Brooks, Hazanavicius ne se contente pas d'imposer un point de vue moderne et ironique . Il met du cœur et de l'âme dans ce mélodrame endiablé qui, comme Chaplin savait si bien le faire, fait flirté l'humour au tragique. De leur côté, Jean Dujardin et Bérénice Bejo crèvent l'écran, témoignant un vrai plaisir de jeu.
Sans doute que ces grandes réussites lissent certains écueils difficilement évitables, à savoir l'imprécision du genre qui hante quelques fois le film. Volontairement anachronique mais parfois dérangeant dans l'imprécision de ses intentions, The Artist semble quelque fois se mordre la queue en rendant lassant le spectacle musical (le muet oblige une musique conséquente). Il n'aurait sans doute pas fallu plus de séquences qu'il y en a déjà, car la dédramatisation intéressante du film est parfois mise à mal dans quelques surenchères d'émotion.
Mais il n'y a pas à bouder son plaisir de spectateur tant l'usine à rêves fonctionne dans ce fantasme de metteur en scène finement réalisé, qui rompt l'importance primaire de l'histoire à celle toujours plus subtile de ses images. En clair (et noir et blanc), une belle leçon de cinéma d'un maître qui joue à l'élève.


Réalisé par Michel Hazanavicius
Avec Jean Dujardin, Bérénice Bejo, John Goodman
Film français | Durée : 1h40
Date de sortie en France : 12 Octobre 2011

Restless

Enoch, lassé de vivre depuis la mort de ses parents, se réfugie dans la solitude en compagnie des morts qu'il va rendre visite aux enterrements et d'un fantôme japonais qu'il s'invente. Annabel, en phase terminale d'un cancer, est fascinée par la vie et fait preuve d'un épicurisme impressionnant face à la tragédie. Devant un tombeau, les deux adolescents se rencontrent. Ils se ressemblent un peu, se complètent beaucoup, et bientôt ils ne peuvent plus se détacher l'un de l'autre.
On ne présente plus Gus Van Sant, un des cinéastes américains indépendants les plus respectés du grand continent. De ses films expérimentaux et très personnels (Mala Noche, My Own Private Idaho, Gerry, Elephant...) à ses plus populaires (Will Hunting, A la rencontre de Forrester, Harvey Milk), le cinéaste a su marquer les esprits avec une filmographie éclectique mais aux thèmes récurrents. L'adolescence et la mort viennent une nouvelle fois parasiter son nouveau film, Restless, qui s'inscrit plus dans la veine populaire que ses précédents films. Éloigné de sa quadrilogie de la mort, malgré son synopsis peu surprenant, le film empreinte la douceur et une simplicité de ton très proche de Will Hunting.
C'est d'ailleurs une des grandes surprises de Restless, qui commence pourtant assez dangereusement. Les deux adolescents, lunaires, décalés (comme souvent chez Van Sant) font connaissance en même temps que les spectateurs les apprivoisent. Singuliers, ils touchent mais laissent un point d'interrogation sur la suite du film : où Van Sant nous mène t-il ? Au contraire de l'impression donnée – et au bénéfice du film – Restless ne joue jamais la carte expérimentale que l'on pouvait attendre voire redouter du cinéaste. La force du film est qu'il se concentre uniquement sur cette rencontre, sans fabulations ni expérimentations de forme. Dans un Portland grisé par un automne qui dépéri peu à peu le paysage urbain, Enoch et Annabel se construisent une bulle que capte la mise en scène au détriment de vouloir la représenter. Si certains pourront reprocher ce choix du cinéaste, ce serait peut-être oublier que les mises en scène les plus simples sont souvent les plus parlantes. Ici, Van Sant est éblouissant d'humilité, laissant à son couple de comédiens fascinants la possibilité de se mouvoir dans sa ville natale, et de laisser corps à leurs personnages. Amour, déceptions, désir, deuil... Restless est un condensé de vie d'une heure et demie qui a cette grande qualité de préférer la pudeur au sentimentalisme. Extraverties, les émotions sont un jeu (la mise en scène du jeune couple qui simule la mort d'Annabel) ; cachées elles deviennent véritables (Enoch s'isole à l'hôpital).
Bien que moins dépouillé que certains autres de ses grands films, Van Sant signe, cela étant, un de ses longs-métrages les plus bouleversants, où son cinéma obsessionnel s'efface devant un regard quasi neutre, sûr de lui, qui témoigne d'une maturité qui n'a plus besoin de se montrer. Discrètement précieux.


Réalisé par Gus Van Sant
Avec Henry Hopper, Mia Wasikowska, Ryo Kase
Film américain | Durée : 1h35
Date de sortie en France : 21 Septembre 2011

26 octobre 2011

Drive

Récompensé par un prix de la mise en scène à Cannes, Drive aura ces derniers temps popularisé son réalisateur danois. Au vu de sa carrière déjà impressionnante (commencée à 25 ans avec le premier Pusher), il était enfin temps que Refn ne soit plus qu'une syllabe vénérée par d'étranges cinéphiles...
Ce n'est pourtant pas le premier film tourné en anglais de Nicolas Winding Refn. De son premier essai Inside Job, Bronson jusqu'à l'ovni Valhalla Rising, le cinéaste a toujours convaincu la presse sans jamais s'attirer la même admiration chez le public. L'auteur de la trilogie Pusher trouve sans doute sa rédemption dans ce film de bad guys ultra sophistiqué, aussi difficilement classable qu'impressionnant de maitrise.
L'intrigue empreinte les chemins battus du héros embrigadé dans une situation dramatique malgré lui. Le Driver, un as du volant chargé de ramener des gangsters sains et saufs après leur coup, est traqué par des malfrats qui veulent sa mort. Mais lorsque la jeune femme dont il vient de tomber amoureux est impliquée, il devient à son tour un traqueur sanguinaire. Le héros à supprimer qui bascule dans la vengeance de survie est une recette efficace bien assimilée par le spectateur (on pense à Hitchcock évidemment, Tanrentino ou Greengrass de manière plus contemporaine). C'est la grande qualité de Drive, et des meilleurs films populaires de façon générale : à travers son écrin taillé pour un public le plus large possible, Refn parvient à réaliser un film à la forme et aux partis pris originaux.
Porté par un Ryan Gosling maître de son personnage, le film est une véritable réussite esthétique. A l'opposé de la caméra sous tension de Bleeder ou Pusher, Refn installe ici une mise en scène très stylisée et travaillée. Caméra fixe, mouvements d'appareil soignés, il est peu dire que Drive est un choc visuel, harmonieusement accompagné - de surcroit - par une bande-originale rétro pop / electro. Si le film prend le risque de distiller ses séquences d'action pure (un accident n'est qu'une mise en scène de cinéma dans une des premières séquences), ce n'est que pour mieux se concentrer sur son protagoniste énigmatique. Froid mais sensible, virtuose mais inadapté, The Driver est un vrai personnage de cinéma que le spectateur peut admirer (son combat acharné) et auquel il peut s'attacher (l'histoire d'amour). Différent mais toujours hanté par des thèmes qui lui sont chers, Nicolas Winding Refn semble trouver dans ce Drive un équilibre parfait entre recherche plastique et ses bonnes vieilles interrogations sur la violence humaine. Véritable plaisir filmique, peut-être un peu codifié – le personnage féminin ne sortira pas de l'idéal américain –, c'est toutefois presque peine perdue de vouloir enterrer ce film surprenant et très contemporain qui a l'avantage des meilleurs surprises : étonner avec classe.


Réalisé par Nicolas Winding Refn
Avec Ryan Gosling, Carey Mulligan, Bryan Cranston
Film américain | Durée : 1h40
Date de sortie en France : 05 Octobre 2011

22 octobre 2011

We Need to Talk About Kevin

Après un passage mouvementé à Cannes (mais sans récompense), We Need to Talk About Kevin s'offre dans les salles obscures. La singularité du titre annonce celle de l'intrigue : le film suit le parcours d'Eva et de Kevin, une mère et un fils en perpétuel conflit. Sans raison apparente si ce n'est celle de ne jamais parvenir à se comprendre. Mais lorsque la situation devient dramatique, l'heure est à la remise en question maternelle : Eva a t-elle fauté ? Comment expliquer la déchéance de Kevin ?
Après un longue absence sur la toile, Lynne Ramsay adapte le livre de Lionel Shriver. Hantée par des démons universels et énigmatiques (la bonne éducation, le pardon, le Mal...), la réalisatrice met sans conteste de son cœur dans ce film pour le moins surprenant.
Portrait froidement réaliste d'une mère de famille déchirée, We Need to Talk About Kevin heurte son spectateur d'une étrange et efficace façon : pesant mais jamais dans la surenchère dramatique, haletant dans son suspens accrocheur, le choc souhaité opère. Le film contraint le regard, nous obligeant alors à intellectualiser un drame familial de pur mystère. En épousant sans cesse le point de vue d'Eva (le film opte une approche flashback), le spectateur est rendu complice, véritable témoin malgré lui d'un procès au crime effroyable mais à l'accusation inconnue. La mise en scène de Ramsay est virtuose lorsqu'elle se détache volontairement de ses protagonistes, offrant aux espaces vides de la maison familiale une étrangeté glaciale. Véritable exercice de l'antithétique, le film met en confrontation une mère distante et un adolescent provocateur, un lieu et une météo idylliques à une atmosphère étouffante.... L'image filmée perd alors de son apparence et se révèle sous son vrai jour avec cette dimension psychologique perturbante, rendue percutante par l'interprétation au couteau de Tilda Swington.
Si le résultat est à la hauteur des partis pris – en témoigne une critique dithyrambique pour la grande majorité – reste est de constater que le film pose sans doute quelques problèmes de forme. Très librement adapté du roman original, Ramsay décide de révéler l'élément perturbateur à la fin. Par des effets d'annonce qui tendent la tension dramatique, la réalisatrice joue avec les nerfs de son spectateur. Soit. D'ailleurs le film y gagne dans certaines réussites esthétiques bluffantes (la déconstruction narrative qui prend sens par la suite, le plan sur le rideau avec le son...). Cependant, l'inexcusable pudeur finale (la réalisatrice nargue son spectateur pendant une heure et demie pour... ne rien montrer) confère la sensation d'une escroquerie. La violence y apparaît alors d'une gratuité voyeuse et plus du tout glaçante, à l'image du père et de la fille, véritables archétypes jamais développés dont l'effroyable disparition ne parvient pas à émouvoir.
Percutant quoi que partiellement maladroit, We Need to Talk About Kevin vaut surtout dans son naturalisme implacable (rappelant quelque peu celui de Van Sant ou d'Haneke), qui ouvre une brèche dans un puits sombre où se cache des interrogations profondes, et où se devine surtout une fragilité humaine dont, sans doute, il faut parler.


Réalisé par Lynne Ramsay
Avec Tilda Swinton, John C. Reilly, Ezra Miller
Film américain, britannique | Durée : 1h50
Date de sortie en France : 28 Septembre 2011

15 octobre 2011

Une rentre tardive... mais une rentrée quand même !



Suite à une rentrée quelque peu mouvementée (changement de ville, abonnement Internet...), j'ai longuement tardé avant de reprendre une activité normale sur mon blog.
Mais cette fois ci, la rentrée arrive enfin ! Et ça (vous) m'avait plutôt manqué :) .

Critiques des films en salle, dossiers spéciaux et surtout conversations passionnées... la recette et les ingrédients restent les mêmes pour parler cinéma avec vous sur la grande toile du web !

Un café, une clope... et bon ciné !

12 août 2011

Super 8

Les blockbusters n'ont pas fini d'envahir les salles obscures climatisées de l'été. Tandis que chaque année relève de plus en plus haut la barre du spectacle synthétisé, force est bien de constater que Super 8 est l'excellente surprise de la saison.
On pouvait pourtant se douter du potentiel de J.J. Abrams, faiseur de rêves précoce à Hollywood. De ses premiers scénarios (Armageddon, Une Virée en enfer...), au lancement de ses séries télévisées (Felicity, Alias, Lost, Fringe), cet amoureux du spectacle haute voltige en cachait plus dans sa besogne que ne le présageait ses premières réalisations traditionnelles Mission Impossible 3 et Star Trek. De la même façon que Matt Reeves et son Cloverfield, Super 8 fait preuve de l'inspiration de la génération post-Spielberg et autres Lucas qui allie la nostalgie des premiers blockbusters à une liberté de création technologiquement plus aisée. Car à ne pas s'y tromper, derrière ses allures de gros budget, ce Super 8 se présente avant tout comme un hommage enveloppé dans un savoir-faire technique récent.
Dans cette époque où la guerre aux effets spéciaux fait rage entre les grands studios, la différence devient un gage malicieux de qualité. Des premiers Spielberg et Star Wars aux artisanaux Hellboy de Guillermo Del Toro, Super 8 est un concentré d'inspirations qui viennent s'empiler à un vaincu bien réel. Années 80, une ville en plein Midwest américain avec ses célèbres rues bétonnées et sa haute technologie (talkies-walkies, walkmans, gameboys...), la nostalgie rétrospective séduira tant les geeks que les amateurs de cinéma hollywoodien. Et convaincre tous les publics est bien la réussite du film. Dans ce décor bien connu, un groupe d'enfants passionnés de grand écran et de films spaghettis sont les témoins d'un accident de train cachant – évidemment – de grands secrets... Attaché au suspens du non-dévoilé comme pouvait l'être Hitchcock, le récit d'Abrams s'articule ensuite autour d'un mystère qui se joue du spectateur et une intrigue recyclée d'E.T. Ce n'est donc pas tant dans la singularité du scénario que le film d'Abrams convainc mais plus dans sa simplicité de ton (l'adolescence juvénile est ici troquée avec l'enfance asexuée, l'ennemi n'est pas l'envahisseur...). Si la morale du « c'était mieux avant » était à craindre, elle est balayée par l'incroyable travail d'effets spéciaux mené par Dennis Murren. Confiné au travail photographique remarquable de Larry Fong (le bras droit de Zack Snyder) et musical du compositeur Michael Giacchino, le résultat est aussi éclectique qu'original. La tendresse apportée par les jeunes protagonistes talentueux arrive dans ce bordélique mélange d'époques comme une cerise sur le gâteau.
Alors même si l'histoire se repose jusqu'à la fin sur des acquis, si le suspens fil rouge peut décevoir de par son envergure un peu surestimée, Super 8 s'impose tout de même comme une vraie réussite. Entre esthétisme rétro teinté de flares bleutés et d'effets spéciaux hallucinants (l'accident du train est une merveille), Abrams livre un blockbuster vitaminé et agréablement personnel dans un paysage technologiquement trop anonyme. Et un conseil de cinéphile à cinéaste : encore !


Réalisé par J.J. Abrams
Avec Kyle Chandler, Joel Courtney, Elle Fanning
Film américain | Durée : 1h50
Date de sortie en France : 03 Août 2011

13 juillet 2011

Harry Potter et les reliques de la mort - partie 2

L'évènement cinématographique du mois du juillet, c'est celui-là : dix ans après l'adaptation du premier volet de J.K Rowling, l'aventure prend fin avec la deuxième partie du dernier volet de la saga Harry Potter. Devenue une immense industrie installée dans les studios Leavesden à quelques kilomètres de Londres, le sorcier à lunettes aurait fait tourner les têtes de millions d'adolescents, à la fois sur papier et sur la toile. Alors que la magie (et ce qu'elle rapporte) veut être logiquement conservée - un parc Harry Potter, un musée, un nouveau site Internet... - la fin sur la toile est bel et bien à digérer. Passée sous les mains de plusieurs metteurs en scène (Chris Columbus pour les deux premiers volets plus enfantins, le mexicain Alfonso Cuaron pour le changement du troisième, le british Mike Newell pour le pilier, et l'anonyme David Yates jusqu'alors) mais toujours sous l'œil attentif des producteurs David Barron, David Heyman et de sa maman de papier, la saga aura définitivement marqué le paysage du blockbuster.
Et bonne nouvelle, les fans de la première heure n'iront certainement pas bouder son final en apothéose. Divisé en deux parties et outre l'aspect économique, cette décision aura au moins le mérite de proposer aux lecteurs deux adaptations très fidèles. Fluide, le scénario ne s'étend jamais ni s'embobine rapidement sur des passages en creux : le soin apporté est tout aussi évident que le budget colossal mis à contribution. Les séquences d'effets spéciaux sont tout simplement extraordinaires. La grande bataille entre les forces du bien et du mal promettait un spectacle de haute voltige. Le résultat est à la hauteur des attentes, les deux heures de film se consommant avec un plaisir sans limite.
Mais c'est surtout dans la singularité esthétique du film que la réussite est accomplie. Cohérente, l'empreinte visuelle d'Harry Potter existe bien. Photographie sublimée, mouvements de caméra vertigineux et des séquences de respiration sublimes (la gare entre les deux mondes, la séquence de la pensine de Rogue, l'une des plus belles de la saga...), on ne peut reprocher aux films d'assurer une certaine qualité de forme.
Et même si dans ce spectacle assumé les facilités populaires peuvent faire sourire - belle poussée d'hormones dans ce final ! - ce dernier volet d'Harry Potter n'ira pas ternir la fresque mais au contraire lui donne un point final pétaradant et sensible (l'épilogue marcherait presque mieux dans le film que dans le livre). Mais la fin n'est qu'une étape vers un éternel recommencement, c'est peut-être une des paraboles qui se glissent entre les lignes d'Harry Potter. On n'en espère pas moins de cette série générationnelle et de son héritage dans les salles obscures magiques.


Réalisé par David Yates
Avec Daniel Radcliffe, Rupert Grint, Emma Watson
Film américain | Durée : 2h10
Date de sortie en France : 13 Juillet 2011

8 juillet 2011

Dossier #03 : Le Village : foi et humanisme

Le Village de M. Night Shyamalan
Foi et Humanisme


Avant-propos : Quelques pistes de réflexions et d'analyse sur un film et un réalisateur que j'apprécie particulièrement. Attention pour ceux qui n'auraient pas vu le film, ou Sixième Sens... les spoilers sont inévitables !
Pour les curieux connaisseurs j'espère que ces quelques pistes pourront vous intéresser.... et pourquoi pas créer le débat ! C'est le but ;) .

~

Né le 6 août 1970 à Pondichéry, enfant d'une famille aisée d'origine indienne installée à Philadelphie, Manoj Nelliyattu Shyamalan était d'abord prédestiné à devenir médecin selon la tradition familiale. C'est finalement le cinéma qui l'intéresse très jeune, filmant des court-métrages amateurs avec sa caméra Super 8. Diplômé d'une école de cinéma à Manhattan, il signe un premier long-métrage financé par ses amis et ses parents, Praying with Anger en 1992. Six ans plus tard, Éveil à la vie, son deuxième film, sort dans les salles. Appréciés sans être des succès, il faudra attendre 1999 et le carton de Sixième Sens pour trouver la renommée attendue et le style déjà singulier de son auteur : un mélange d'horreur et de métaphores au service d'un récit à twist final. Et la recette prend bien : Incassable (2000), Signes (2002), et Le Village (2004) sont des réussites. Aujourd'hui à la dérive d'un public et d'une critique à juste titre moins optimistes (La Jeune fille de l'eau, Phénomènes, Le Dernier Maître de l'air) M. Night Shyamalan déçoit et semble faire de plus en plus attendre son retour vers un cinéma camouflé, au combien intelligent derrière ses allures de films à vedettes et de box-office.

C'est peut-être le plaidoyer de cette chronique – si tant est qu'il y en ait une – à savoir que si M. Night Shyamalan fait aujourd'hui grincer des dents, il nous a, hier, offert quatre œuvres sublimes, des productions américaines implacablement différentes et qui auront marqué la toile du début du XXIème siècle.

Souvent sous-estimé à mon goût, incroyable chef d'œuvre ingénieux et inépuisable (toujours à mon goût !), Le Village a laissé sa trace indélébile dans mon panthéon secret des films qui m'ont, le temps d'un instant, bouleverser et fait rêver. Peut-être le plus abouti, en tout cas regroupant toutes les idées hantées de son cinéaste, le film se digère au-delà de la manipulation thématique, ce qui en fait son unicité même à la clôture d'une quadrilogie. Retour sur un film envoûtant et un cinéma que l'on regrette d'avoir un peu perdu chez son cinéaste inspiré.


Forces naturelles et surnaturelles

Dans l'imaginaire de beaucoup d'auteurs, le fantastique remplit deux rôles. D'une part écarter le récit d'un naturalisme peu accrocheur afin de faire voyager l'esprit du spectateur, l'emmener dans une réalité inconnue jusqu'alors. D'autre part à refléter allégoriquement des vérités bien concrètes et téméraires. Ces deux rôles forment en quelque sorte deux couches superposées, qui se révèlent selon l'appréhension de l'œuvre. Simple divertissement évasif ? Morale masquée ? L'intérêt du fantastique dans les livres et les films se trouve dans cette double lecture. Si Les Fables de La Fontaine ou Vingt-Mille lieux sous la mer de Jules Verne peuvent paraître au premier abord une littérature enfantine, c'est oublier que l'un détournait une censure abusive et l'autre condamnait des idéologies convaincues et destructrices. Le Village s'imprègne de ce pouvoir d'expression. Chez M. Night Shyamalan comme chez beaucoup d'autres, le surnaturel est toujours le reflet d'une conscience humaine et le prisme d'émotions bien réelles. Et comme chez beaucoup d'autres auteurs également, des thèmes chers hantent sans cesse ses films malgré leur différence. Le Village, de la même façon que Sixième Sens, Signes et Incassable, thématise la douleur du deuil. Comment se reconstruire après une destruction ? Comment rester les mêmes quand tout a changé ? C'est le combat perpétuel de chaque protagoniste, d'un père de famille assassiné qui n'accepte pas la mort et l'abandon, d'un ancien prêtre qui perd la foi après le meurtre de sa femme, d'un homme ordinaire qui survit miraculeusement à une catastrophe... et de plusieurs personnes meurtries par l'assassinat inhumain d'êtres chers. Le Village a cela d'ambitieux qu'il hisse les ambitions thématiques à un degré supérieur. Le deuil n'imbibe plus seulement un personnage principal isolé, mais tout un village né dans le secret. Sous cet angle, le film est sans doute le plus abouti de Shyamalan car il pousse les limites du symbolisme jusqu'au paroxysme. Là où le surnaturel était un prétexte narratif à de réelles ambitions morales et philosophiques, ici il devient un prétexte au cœur de la narration. Ce n'est non plus Shyamalan qui utilise l'artifice du fantastique mais ses propres personnages, ces Anciens qui tiennent à tenir dans le secret et la peur leur village fermé et temporairement décalé. Il y a une sorte de mise en abyme directe à la création fantastique où ce n'est non plus le spectateur qui se questionne sur le symbolisme du fantastique mais les protagonistes eux-mêmes.

Sont-ils dans la vertu ? Ont-il commis une erreur ? L'approche distante, quasi documentaire de la mise en scène (la caméra épaule donne parfois des allures de reportage) reflète ce changement de processus et fait du Village un film intéressant dans sa forme.

Les questions morales que se posent les Anciens sont logiquement celles que pose le film dans sa seconde lecture interprétative. De la même façon que certains dictateurs, ces derniers utilisent la peur (la forêt environnante peuplée de monstres empêcherait les villageois de partir dans les villes) afin de les relier à leur cause. Si la décision part d'une intention protectrice et vertueuse, est-elle pour autant défendable ? Et quand Lucius, un homme respectable du village, se fait agressé et flirte avec la mort sans médicaments des villes, le débat ne peut plus être écarté.

Le regard sociétale est donc évident. La critique peut même s'étendre sur l'Amérique toute entière, et sa politique d'autarcie dominante. Mais la portée thématique ne semble pas le plus important chez Shyamalan. Le Village, avant et plus que d'être la critique sociale que l'on peut en voir, est avant tout un vrai film de cœur à hauteur d'hommes. Le fantastique, l'étrange et l'épouvante n'ont jamais vocation à détourner des messages bien sentis comme peut le faire par exemple Romero. Chez Shyamalan, l'intérêt réside avant tout dans les forces affectives que l'homme peut trouver en lui. Le surnaturel angoissant est ici pour donner du poids à la balance, à ces questions d'homme à homme. Jusqu'où sommes nous prêts à aller par amour ? De quoi sommes nous capable ? Le Village a cela de beau qu'il pose ces questions sans concession. En vérité, l'inexplicable ne réside pas seulement (du tout) dans l'obscurité et les sons de ce bois mystérieux mais surtout dans le cœur de ses habitants avant tout humains avant d'être des villageois cloisonnés. Et particulièrement celui d'Ivy, femme éperdument amoureuse de Lucius, prête à défier les monstres pour aller chercher les médicaments en ville.

Pour arriver (enfin !) sur quelques réflexions formelles, il est intéressant de voir comment Le Village s'impose comme un vrai film d'amour sur l'amour en évitant les archétypes du genre. Shyamalan parvient à imprégner à sa mise en scène la cécité de son personnage. Tous ses sens sont éveillés, et pas seulement celui de la vue. Si l'ouïe est souvent la source d'angoisse, le toucher est la marque de l'affection et du dévouement.


Lucius, l'observateur lucide et discret, remarque que sa mère et Walker ne se touchent jamais. Cet échange n'est pas anodin, il reflète un des aspects les plus importants de la mise en scène affective de Shyamalan dans Le Village. Le toucher est un symbole émotionnel fort. De la compassion à l'amour, c'est peut-être la première quête de ces villageois secrètement liés par la tragédie.

Hunt et Walker, reflet (et indice) de la souffrance qui pèse dans le village. Leur symptôme : l'absence de contact physique.


Le film s'ouvre symboliquement par la perte d'un être cher et sa cérémonie d'adieu. L'exposition problématise déjà tout le récit, l'histoire ne fera que se répéter. Déjà, une main se referme en remerciement.
Toucher est l'unique façon pour Ivy de percevoir les choses. Des griffes et une réserve, c'est de cette façon que la supercherie lui est révélée. Sa cécité n'est donc sans aucun doute un détail futile : grandie et courageuse de par son handicap, elle est l'espoir qui ébloui le village, celle qui touche et ressent les choses. Cette pureté et cette innocence innées (qui fera perdre ses mots au jeune agent de la ville) représente ce qu'essaient de retrouver les Anciens. Étouffés dans ce monde anonyme qui tourne trop vite et parfois incompréhensible, le village est justement une bulle protectrice de camaraderie décalée dans l'époque. La critique sociétale est évidente, cet espace où les gens n'ont pas peur de se toucher et de communiquer entre eux représentant l'anti reflet parfait de nos sociétés modernes.

Dans cette séquence forte, où Lucius vient sauver sa future promise, Shyamalan concentre sa mise en scène sur le lien charnel qu'attend et espère Ivy (premier et deuxième photogrammes). Lorsque les deux mains se serrent enfin, le destin est d'ores et déjà scellé : guidée par l'homme attendu, Ivy tombe profondément amoureuse. Spectateur de la scène, Noah, personnage qui n'a du touché qu'une perception de violence, commence à sombrer dans la jalousie maladive. Cette séquence pilier, sous la marque de l'attache physique et affective, renverse le film dans la tragédie romantique, le véritable genre au-delà de l'épouvante et des (faux) monstres.


Une mise en scène de l'épouvante

Mais tout en singularisant son style dans sa force émotionnelle et ses interrogations humanistes, Shyamalan ne reste pas moins un metteur en scène de thriller inspiré. Adulateur d'Hitchcock, quelques indices d'hommage trainent ici et là (la télévision miroir dans Signes et La Mort aux trousses par exemple) mais c'est surtout le sens du suspens qui importe sur ces inspirations.

L'esthétique visuelle du Village est, de la même façon qu'Hitchcock dans une certaine mesure, d'une grande simplicité. L'artifice n'est pas une priorité pour Shyamalan. Pour se protéger des extra-terrestres, dans Signes la famille met des casques en aluminium et le bad guy cartoonesque d'Incassable est un vieillard handicapé. Le hors-champ (ou le média intermédiaire dans Signes et Phénomènes) est sans cesse privilégié à l'effet visuel claquant. Les monstres eux-mêmes dans Le Village n'ont rien de proprement pittoresques. Éloigné d'un cinéma hollywoodien tapageur, le réalisateur préfère stimuler l'imagination plutôt que de la contraindre. Dans la même époque, Le Secret de Blair Witch avait su terrifier des millions de personnes en ne montrant... rien. Bien entendu, l'angoisse du hors-champ n'est en rien une innovation mais bien une des marques de la cinéphilie avouée de Shyamalan, qui a notamment grandi avec Steven Spielberg (impossible ne pas penser à Duel, le film du hors-champ par excellence). L'épouvante du réalisateur se rapproche quant à elle plus du style de Stephen King : provocateur dans sa forme violente mais soignée, inépuisable dans son fond.

Le soin de la mise en scène est, dans Le Village, particulièrement frappant. Sans jouer la virtuosité d'exercice à la Sixième Sens, le film est d'une forme quasiment épurée. Les nombreux plans séquence en sont la marque. Le Village prend souvent des allures de théâtre filmé, ce qui est dans le sens premier de l'histoire une vérité de ton, ce village étant à lui seul une mise en scène qu'il suffirait alors de filmer.

Mis côte à côte, ces deux photogrammes sont troublants dans leur similarité. Décor pauvre, personnages face à face en plan américain, la théâtralisation de la mise en scène est frappante. D'autant que le procédé est souvent répété. Plus que d'installer une forme esclave à l'action, ce parti pris est aussi un moyen pour Shyamalan d'épurer ses dialogues de force (tous les échanges cruciaux sont filmés en continu, le chemin vers l'abri étant le plus évident) en renforçant l'importance du jeu d'acteur. La mise en scène disparaitrait presque dans cet exercice de transparence, de la même façon que les rapports humains mettent en péril la mise en scène des Anciens.

- Pourquoi ne dis-tu jamais ce qu'il y a dans ta tête ?
- Pourquoi dis-tu toujours ce qu'il y a dans la tienne ?
La déclaration d'amour paradoxale - et magnifique - du film, sous la forme d'un plan séquence fixe (2min30).

L'inspiration hitchcockienne semble évidente dans ses effets d'annonce (la caméra en plongée sur le champs, simule déjà l'arrivée de l'avion). Ici, la caméra se place à plusieurs reprises dans l'espace mystérieux, dans la source de l'angoisse. Chaque film de Shyamalan est en quelque sorte une plongée masochiste vers nos peurs les plus primaires : ci-dessous le bois environnant dès le générique et l'intérieur sombre d'une maison fracturée.

Du générique sombre en forêt...

... à une séquence de suspens pur : même technique d'anticipation.

Contrôler l'angoisse d'autrui, c'est le contrôler tout à fait. De la même façon que les Anciens terrifient leurs confrères, Shyamalan joue avec son spectateur. Et ce jeu prend aussi des allures interprétatives intéressantes, ici le refrain du reflet constituant le cœur de la mise en scène manipulatrice de son auteur.

Les images comme les apparences peuvent être trompeuses. Le premier reflet ment tandis que le second, plus distinct, révèle. Shyamalan met sans cesse son spectateur en garde du pouvoir visuel. Habitués à voir et consommer les images, on en oublierait presque de les regarder véritablement. Un peu comme un Narcisse naïf, ici le spectateur se fait avoir par un reflet mensonger.


Spectateur et point de vue

La lecture chez Shyamalan, et d'autant plus pour Le Village, est à prendre avec des pincettes. Le réalisateur aime manipuler le spectateur, le tromper, le guider vers les mauvais chemins. Un film de Shyamalan est un peu une partie de cola maya : l'obscurité nous empêche de saisir la vérité, jusqu'à la fin ou la lumière se révèle enfin. Cette manipulation est tout à fait de l'ordre du jeu. Elle s'inscrit chez le cinéaste comme un exercice de style inhérent à son genre de prédilection (le thriller, le film « d'horreur »...). Toute histoire est un mensonge, une tromperie. Un mensonge qui se doit de raconter une ou plusieurs vérités. La forme cinématographique de Shyamalan repose bien sur la récurrence du mensonge. Le Village va même un peu plus loin dans l'effet, car une fois révélé, le mensonge reste pour autant démenti dans le climax. Le spectateur est malmené, mais pourtant il est sans cesse diriger dans son regard.

L'utilisation du zoom peu à première vue paraitre surprenante (d'autant plus dans un premier plan). Il a en fait l'effet de situer le spectateur : à hauteur de ses personnages (la foule au premier plan), son regard est centré sur une action ponctuelle. Le spectateur se sent comme un villageois encapsulé par la réalisation catharsique de Shyamalan.

Ici, l'intérêt du zoom est sensiblement similaire. La récurrence des plongées donne cependant à la forme filmique une certaine distance, comme celle d'un point de vue omniscient qui vient quelques fois s'imposer. Le spectateur s'écarte ainsi à plusieurs reprises des protagonistes, pour trouver une certaine confidence avec le metteur en scène. Mais ce rapprochement n'est jamais très clair : le climax du film joue sur la même pirouette. Alors que le spectateur pense que l'auteur lui a enfin révélé le pot aux roses, la suite le fait douter. L'étrangeté de la relation entretenue avec son spectateur fait une des singularités de Shyamalan (Sixième Sens en étant le premier essai maitre).

La caméra guide toujours le regard, et retranscrit de par ses mouvements un regard extérieur crédible. Les deux exemples ci-dessus illustrent cette caractéristique pouvant sembler anodine. Alors que les personnages voient quelque chose d'abord hors-champ, un mouvement simule des yeux qui se baissent et vient capter l'objet en question. Cette considération du spectateur et de ce réalisme joue un rôle à part entière dans la mise en scène trompeuse de Shyamalan.

Cette mise en scène trompeuse n'épargne pour autant jamais les indices révélateurs qui rapproche la forme filmique de celle de l'énigme.

Dans Le Village, la chaise représente l'indice fil rouge. Assimilé à Noah dans le premier plan (sa chaise de l'isoloir), plusieurs du même genre, vides, viennent hanter le film. L'exemple le plus évident est la fin de la déclaration qui se clôture par trois points de suspension signes de danger. Les plans de coupe, derrière leur fonction purement illustrative, ne sont jamais épargnés de sens. Ici aussi, une chaise vide se retrouve de temps en temps. Enfin, Lucius semble déjà dans le viseur sur le plan séquence avec sa mère : une chaise vide, à côté des bougies, lui fait face comme un adversaire.

Lucius est d'ailleurs l'unique personnage où la subjectivité est utilisée à la différence d'Ivy, qui reste l'héroïne metteur en scène. Malgré ses jeux et ses intentions malines, Shyamalan porte évidemment beaucoup de respect et d'humanisme dans l'utilisation de ses points de vue. Mettre son spectateur à la hauteur du personnage de Lucius en est la marque ponctuelle comme dans ces trois plans. Dans le troisième (le dernier du film), la caméra passe du plan large à cette valeur ci-dessus. La subjectivité n'est pas parfaite mais légèrement décalée, comme si la nouvelle histoire ne nous appartenait déjà plus. Cette dernière identification est la marque d'un grand optimisme de fond et d'un espoir sans limite... ou lorsque qu'un jeu sur la naïveté devient à son tour naïf. Et la boucle est bouclée.



Réalisé par M. Night Shyamalan
Avec Bryce Dallas Howard, Joaquin Phoenix, Adrien Brody
Film américain | Durée : 1h48
Date de sortie en France : 18 Août 2004

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