29 juin 2011

Dog Pound

Davis, 16 ans, deale des stupéfiants pour rentrer dans le moule. Angel, 15 ans, fait corps avec la dure loi de la banlieue et se fait arrêter pour vol de voitures. Butch, impulsif, bestial quand on le cherche, agresse un officier. Jeunes, différents mais violents, ils sont internés dans la prison pour délinquants juvéniles d'Enola Vale, aux Etats-Unis. La guerre commence et deux choix s'imposent : souffrir en victime ou martyriser en caïd.
C'est le deuxième long-métrage du réalisateur français Kim Chapiron. Après avoir remué et partagé la critique avec Sheitan, un film de genre mélangeant violence, sexe et humour dans un cocktail jouissif et déconcertant, Chapiron aborde cette fois le grand continent. Dog Pound – « la fourrière » en français – n'en demeure pas moins subversif : prenant place dans un centre pénitencier pour adolescents, le réalisateur signe un film froid, dur, implacable.
Chapiron cherche le plus grand réalisme possible : entouré d'acteurs non professionnels, la force des personnages n'en ressort que plus forte et acerbe (le caïd du centre est un vrai prisonnier, l'acteur principal a séjourné deux fois en prison pendant le tournage...). Rappelant le Punishment Park de Watkins ou Hunger de McQueen dans son naturalisme aigu, Dog Pound s'impose comme une chronique qui frôle le documentaire dans sa volonté de démonstration. La mise en scène de Chapiron se veut le plus proche possible de ses trois protagonistes. Souvent en multicam, cadrages serrés et caméra épaule lorsque la tension s'accentue, le réalisateur cherche une vérité de ton qui s'avère terriblement efficace. Le spectateur s'attache autant à ces graines de criminels, qu'aux gardes subtilement humanisés (la séquence du meurtre est d'une rare intensité). Dog Pound interroge, pose les jalons d'une société aseptisée, sévérisée, tout en restant un vrai huit-clos psychologique et pulsionnel. Si le scénario révèle aux moments clés quelques faiblesses – la chorale de narration peine globalement à trouver la bonne harmonie – reste que le film de Chapiron, cruellement simple, n'a que peu à prouver pour convaincre. Enchainant les séquences allumées avec des parenthèses clipesques étonnantes (la musique acoustique douce qui revient avant chaque crise), le réalisateur parvient à capter tant la violence que la perdition de ces jeunes en dérive.
Virulent, le film de Chapiron bouillonne d'intelligence en évitant toute sensibilisation prolixe pour un sujet dangereux en raison des nombreux clichés qu'il figure. Au contraire, Dog Pound s'impose comme un vrai métrage de témoignage, pertinent et d'ores et déjà au panthéon des films de chiens enragés.


Réalisé par Kim Chapiron
Avec Adam Butcher, Shane Kippel, Mateo Morales
Film américain | Durée : 1h31
Date de sortie en France : 23 Juin 2010

15 juin 2011

Pourquoi tu pleures ?

Quelques jours avant son mariage, un jeune homme (Benjamin Biolay) doute, n'a pas le cœur à prendre part à toute l'organisation et à assumer ce tournant de la vie. Il rencontre une femme en boîte de nuit, traîne avec les copains, cherche entre temps sa future épouse qui comme à son habitude disparaît sans rien dire...
C'est le premier film de l'actrice Katia Lewkowicz, après avoir signé C'est pour quand ? son premier court-métrage où figurait déjà Biolay. Encouragée à poursuivre l'aventure en long métrage avec le même ton, Lewkowicz signe ainsi Pourquoi tu pleures ? en compagnie d'Emmanuelle Devos, Nicole Garcia ou encore du réalisateur Eric Lartigau au casting.
Une bonne initiative, le film de Lewkowicz se laissant agréablement regarder. Loin des archétypes du genre, Pourquoi tu pleures ? se distingue d'abord dans sa liberté de ton, qui mélange subtilement le loufoque à la dramatisation. Le film donne la sensation singulière de se prêter comme une comédie de mœurs déguisée en chronique social plutôt sombre et réaliste dans son approche formelle (caméra épaule qui suit sans limite Benjamin Biolay, traversée en plein Paris qui rappellent certains films de La Nouvelle Vague et leur obsession de naturalisme). Ce paradoxe de fond confère à ce Pourquoi tu pleures ? une originalité bienvenue. Drôle sans tomber dans la farce parodique, Lewkowicz semble avoir trouvé un ton iconoclaste, pas toujours maitrisé, mais en adéquation avec le côté décalé de son scénario.
Ce décalage peut d'ailleurs déconcerter le spectateur. Biolay, comme tous les personnages satellites qui l'entourent, semblent tous paumés ; de ses potes de jeunesse à sa future épouse insaisissable, de sa mère possessive à sa sœur dépassée de tout... perdus tout comme cette jeune femme enlacée au hasard d'une soirée alcoolisée. Fuyant son avenir rangé, Biolay se réfugie dans ses bras dans lesquels il s'en va pleurer comme un bébé. Le musicien confirme qu'un acteur sommeillait : parfait et sobre, il emmène littéralement le film vers la vérité d'émotion nécessitée, et donne de l'épaisseur à ce déserteur adolescent que l'on refoule finalement un peu tous (?).
Mais entre les lignes de ces bons choix se camouflent de grandes inégalités. Premier film, premiers acteurs, certaines séquences ont du mal à convaincre. Le montage se veut d'ailleurs souvent le révélateur de leur déséquilibre (par exemple la séquence de la soirée entre copains à l'appartement – une des premières filmées – complètement déstructurée et sans rythme). L'ensemble peine à s'harmoniser dans ce spectacle visant tantôt le rire, tantôt l'émotion et qui trouve finalement à plusieurs reprises la lassitude. Mais malgré ces défauts évidents, le film de Katia Lewkowiscz s'apprécie, que cela soit dans des séquences de jeu bien ficelées (outre Biolay, Emmanuelle Devos, Eric Lartigau et Sarah Adler jouent parfaitement), ou dans son insolence plutôt communicatrice tournée vers nos rebellions les plus égoïstes. Sans prétention et sans crever l'écran, Pourquoi tu pleures ? est un premier film qui sonne juste et trouve son intérêt. Peut-être une nouvelle ambition trouvée pour l'actrice reconvertie.


Réalisé par Katia Lewkowicz
Avec Benjamin Biolay, Emmanuelle Devos, Nicole Garcia
Film français | Durée : 1h39
Date de sortie en France : 15 Juin 2011

14 juin 2011

The Prodigies

Jimbo a un don : doté d'une intelligence extraordinaire et d'un pouvoir surnaturel (prendre possession du corps d'autrui), sa singularité fait de lui un enfant criminel. Tuant sous la rage ses parents indignes et violents, il apprend à grandir avec Killian, un vieil homme possédant les mêmes capacités. Marié, bientôt papa, Jimbo n'a cependant jamais oublié sa conviction la plus profonde : retrouver à son tour des enfants prodiges pour leur apprendre à canaliser leur force.
The Prodigies est l'adaptation de La Nuit des enfants rois écrit par Bernard Lentéric en 1981. Violent et un peu vieilli, ce livre a pourtant toujours représenté un vrai désir d'adaptation filmique chez Antoine Charreyron. Animateur de jeux vidéos et plus récemment réalisateur de seconde équipe sur Babylon A.D. de Mathieu Kassovitz, ce français aux grandes ambitions s'est naturellement dirigé vers la motion capture. Si la production n'a pas toujours été facile, The Prodigies a aujourd'hui le mériter d'exister, et surtout le mérite de convaincre.
Si le récit est sur-inspiré (X-Men, Harry Potter, Jumper... les personnages avec des dons on connait), le scénario s'avère efficace. Rythmé et dynamique, le spectateur n'a pas le temps de s'ennuyer. Tout est fait pour que ce Prodigies se moule dans un entertainment de qualité US. Alors si le scénario est efficace sans être d'une originalité bluffante, il faudra plutôt chercher du côté de la mise en scène.
Pourtant, la première (malheureuse) évidence est la pauvreté de l'animation. La motion capture ne satisfera pas les plus pointilleux. Traits épais, modélisation 3D imposante, l'animation est brute... et fait indéniablement penser à un graphisme sophistiqué de jeux vidéos. Là où Snyder pêchait dans son univers kitsch et violent avec Sucker Punch, Charreyron faute quelque peu dans ce virtuel trop prononcé pour harmoniser l'ensemble. L'animation faciale est de ce fait peu convaincante : certaines séquences d'émotion auraient sans doute gagné avec plus de précisions réalistes. Et le relief ne viendra pas immerger le spectateur pour autant.
Non, il faut peut-être retenir de ce film d'animation étonnant ses partis pris de mise en scène bien réels. Plans séquences (l'ouverture est magistrale), ralentis, effet de caméra épaule sous tension, Charreyron et son équipe ont beaucoup travaillé la réalisation au détriment de l'animation. Mais le résultat est payant. Même si l'adaptation consiste à alléger l'atmosphère, la violence conservée est pleinement assumée dans cette mise en scène de véritable thriller (le film est interdit aux moins de 12 ans, une tête coupée et une agression sexuelle auront eu raison de la censure). Sans complaisance, la cruauté s'incorpore à un essai qui aurait perdu de sa virulence en acceptant la pudeur. Car malgré ses défauts, il n'y a pas à rougir de cette animation française qui se veut la continuité plus aboutie du précédent Renaissance, et sans doute une porte ouverte à d'autres projets du même type (une suite semble d'ailleurs suggérée). Imparfait, The Prodigies parvient tout de même à séduire avec une qualité précieuse dans le paysage de l'animation cinématographique : la différence.


Réalisé par Antoine Charreyron
Avec Jeffrey Evan Thomas, Jacob Rosenbaum, Dominic Gould
Film français | Durée : 1h27
Date de sortie en France : 08 Juin 2011

13 juin 2011

Casablanca

Casablanca, 1942, Seconde Guerre Mondiale. Tandis que l'Europe se déchire, le Maroc se fait la porte ouverte à tous les déserteurs désirant rejoindre Lisbonne et ses possibilités de fuite vers l'Amérique. Contrôlée par Vichy, la ville d'Afrique du Nord mélange allemands et français non sans une certaine tension. La boîte de nuit de Rick Blaine (Humphrey Bogart), un français exilé, est un lieu d'insouciance où chaque soirs les gens communiquent, jouent au jeu dans le même espoir de pouvoir rejoindre le grand continent. Froid et distant, tout bascule quand Rick voit arriver dans son night club Ilsa (Ingrid Bergman), un amour passé, qui cherche à s'enfuir avec son mari Laszlo (Paul Henreid), un héros de la résistance. La vertu ou la jalousie vengeresse ? De ce conflit intérieur commence Casablanca, sans doute le plus beau miracle du cinéma américain.
Miracle de par son origine : en 1942, les studios Warner sont à leur apogée. Produisant cinquante films par an et regroupant les plus grandes stars du cinéma hollywoodien, ces derniers sont majoritaires dans la grande industrie. A la base, Casablanca est donc l'un des cinquante films de la liste, ni avantagé ni produit en connaissance du succès foudroyant qu'il connaitra. Un miracle également dans son tournage chaotique : entre négociations pour les acteurs et écriture du scénario en direct (Bergman dira de Casablanca qu'il restera l'un des films les plus embarrassants qu'elle ait fait), Michael Curtiz - que le grand public connaissait pour Capitaine Blood et Les Aventures de Robin des Bois - est parvenu à en faire l'un des plus grands chefs d'œuvre du cinéma.
Le succès de Casablanca est ainsi d'autant plus beau qu'il était tout à fait inattendu. Auréolé de trois Oscars en 1943 (Meilleur Film, Meilleur Réalisation, Meilleur Scénario), considéré aujourd'hui encore comme le troisième plus grand film américain derrière Citizen Kane et Le Parrain, ce produit facturé de la Warner ne démérite toujours pas de ce succès. Répliques cultes, envolées d'émotion, interprétation magistrale... Le film ne s'inscrit jamais dans un genre particulier. Tantôt film d'action, d'amour, comique ou politique, Casablanca parvient à jouir des nombreux scénaristes contributeurs. Les frères Epstein apportent l'ironie et les répliques bien senties, Howard Koch aura donné l'envergure politique et moral nécessaire tandis que Casez Robinson aura appuyé l'histoire d'amour dans une singularité devenue cliché avec le temps (le flashback de Paris, sans doute le plus beau passage du film). La mise en scène est à l'image de la présentation faîte de son auteur : perfectionniste à en devenir colérique, dans le cadre ou les jeux de lumières, c'est peut-être en se battant pour tourner l'intégralité du film en studio et en enregistrant le son en direct que Curtiz a œuvré sans le savoir à ce film devenu culte. De même pour Max Steiner, le compositeur (Autant en emporte le vent), qui est parvenu à donner parfois des moments de sacre à la musique (la bataille des hymnes nationaux) mais toujours avec la subtilité qui lui est propre (les redites de la chanson As Time Goes By qui vient parsemer l'histoire d'amour).
La petite histoire de cinéma vient ainsi, dans ce moment hollywoodien magique, englober la grande Histoire. Pertinent, accusateur sans se vouloir moralisateur, et éternellement bouleversant, Casablanca est bien à la hauteur de sa réputation dorée : un chef d'œuvre intemporel imprégné dans du noir et du blanc. Immanquable.


Réalisé par Michael Curtiz
Avec Humphrey Bogart, Ingrid Bergman, Paul Henreid
Film américain | Durée : 1h42
Année de sortie en France : 1943

Une Séparation

Ours d'Argent pour tout le casting et Ours d'Or du Meilleur Film, Une Séparation a brillé au dernier festival de Berlin. A la réalisation, un nom encore peu connu, Asghar Farhadi. Il faut dire que le cinéma iranien n'est pas le plus populaire à l'international. Quel dommage ! Cette Séparation donnerait envie de se plonger dans tous les autres films. C'est son précédent métrage, A propos d'Elly, qui avait ouvert à Farhadi les portes de l'Europe et de l'Amérique. Encensé, Une Séparation devrait confiner à ce cinéaste inspiré une bonne assurance. Poignant, le film est une plongée bouleversante dans la réalité difficile d'un couple fracturé. Simin veut quitter l'Iran pour assurer un avenir à sa fille. Nader est trop attaché au pays et à son vieux père malade qu'ils hébergent. Simin part chez sa mère, obligeant Nader à payer une aide-soignante. Tout bascule lorsqu'une dispute finit devant le bureau du juge : l'aide-soignante, accompagnée d'un mari violent, accuse Nader de l'avoir poussé et provoqué sa fausse couche.
Il y avait quelques temps que le cinéma étranger ne s'était pas imposé avec tant de force sur les affiches de l'hexagone. On pense à Pablo Trapero et Carancho dans cette caméra épaule proche de ses personnages et ce scénario d'un réalisme bluffant. Outre ce réalisme qui s'accompagne d'une performance d'acteur incroyable, Une Séparation a surtout un don pour la confidence, la forme filmique type documentaire ne servant jamais un propos unique. Au cœur des réalités sociales, Farhadi donne à penser son film : lorsque le scénario étouffe ses fils autour du procès juridique, le cinéaste ne prend jamais parti et oblige son spectateur à se poser les questions. Et dans ce tourbillon éprouvant de culpabilité, le réalisateur ne l'épargne pas car aucune question ne s'avère être la bonne à se poser. C'est dans ce spectacle moralement éprouvant et altruiste que Farhadi touche des moments de grâce. La rapport entre père et fille est d'une justesse rare : le mensonge, la dureté de la vie, l'audace... toute cette éducation se fait dans un silence saisissant (de la séquence de l'essence, au dénouement avec la fille qui part en voiture). De tous ces portraits, jamais manichéens et c'est bien là leur force, se tissent le lien du choix. Une Séparation met en scène une chorale de personnages tantôt soumis à des choix, tantôt responsable de ces derniers. Si la religion est logiquement importante, elle n'est vue qu'à travers sa morale (le climax de la promesse impossible) ; ceci en ne soumettant jamais de fil rouge conducteur jusqu'à ce dernier plan indécis, toujours fracturé sinon plus, n'offrant aucune autre réponse que notre propre regard de spectateur.
Film politique ? Allégorie des rapports humains ? Une Séparation est peut-être tout ça à la fois. Le simple titre peut être lu au-delà de son sens formel (séparation entre un pays étouffé et l'Europe, séparation entre la dignité humaine et ses besoins de reconnaissance...). Mais il serait dommage d'enliser le film dans une lecture uniquement portée sur l'intellect. Car comme ses petits frères qui parviennent au compte goutte dans nos cinémas – on pense évidemment à Fatih Akin ou Eytan Fox – Farhadi propose avant tout un film qui se vit, se regarde et se digère. Et même si la perfection semble encore frôlée (un mouvement de caméra incessant, une exposition bancale) reste qu'Une Séparation demeure une pépite explosive, celles dont le goût acidule d'inattendu.


Réalisé par Asghar Farhadi
Avec Leila Hatami, Peyman Moadi, Shahab Hosseini
Film iranien | Durée : 2h03
Date de sortie en France : 08 Juin 2011

7 juin 2011

Esther

Kate et John forment un couple uni qui essaie tant bien que mal de rester debout. Malgré les drames passés, adultère pour John, alcoolique pour Kate jusqu'à la fausse couche de leur troisième enfant, ces derniers veulent garder la tête haute. Afin de cicatriser la mort prématurée de leur enfant, d'offrir un amour qui n'a pas eu lieu, Kate et John décident d'adopter une petite fille. Ils tombent sous le charme d'Esther dans un orphelinat de bonne sœur.
Les enfants et l'horreur ont souvent fait bon ménage au cinéma. L'Exorciste et Shining continuent d'inspirer des réalisateurs contemporains : Sixième Sens, Dorothy, Birdy... Souiller l'innocence des enfants a toujours représenter un plaisir de metteurs en scène de genre. De la même façon que Morse de Tomas Alfredson manipulait l'enfance dans sa naïveté la plus pure, Esther utilise l'archétype dans un sens qui lui devient propre. Qui est cette Esther d'apparence angélique ? Le fil rouge du film tiendra son spectateur sous pression jusqu'au twist final, digne d'un bon Shyamalan.
Après La Maison de cire, un Espagnol – encore un ! - Jaume Collet-Serra, prend les reines de ce nouveau film d'horreur. Il faut dire que nos voisins latins sont souvent les meilleurs dans cet exercice. Esther, traduction pantouflarde d'Orphan, ne viendra pas y imposer une quelconque nuance. Brillant et parfaitement maitrisé, le film se savoure de bout en bout.
Rarement un thriller horrifique n'aura été aussi efficace tout en faisant la plus grande économie possible sur les effets du genre. Peu de sang, scènes de violence pure au compte-goutte, Collet-Serra, aidé de ses trois scénaristes, propose en réalité une vraie expérience psychologique qui préfère souvent le hors champ à la cruauté (la séquence de la porte verrouillée est simple mais terriblement efficace). Optant pour un suspens omniscient, le réalisateur place son spectateur en témoin des événements. Frustrant, manipulateur, Esther est une vraie torture de l'esprit et du bon sens. C'est lorsqu'il pense tout savoir que le spectateur est le plus vulnérable : ici le film s'en veut la démonstration parfaite, parfois effrayante, souvent dérangeante tout en utilisant les codes de l'épouvante. Un jeu pour enfants apparaît alors inquiétant pendant cinq bonnes minutes, l'orage annonce la couleur, les jumps scares font décoller du siège... Jusqu'à la séquence finale, faisant basculer le film que l'on croyait voir dans une autre dimension, effrayante et violente.
Dans ses décors enneigés, le réalisateur cristallise une histoire de tromperie sauvage à hauteur d'enfants. La jeune Isabelle Furhman est glaçante de naturelle et offre la performance d'actrice dont le film avait besoin. Vera Farminga, tenant déjà le rôle de la malheureuse mère dans Joshua, est toute aussi brillante. Le scénario, audacieux, est un exemple parfait de crescendo empirique réussi.
Bref, peu de choses à redire de cet essai remarquable : intelligent derrière ses allures de divertissement à twist, avertisseur malin, un brin polémique, lorsqu'Esther s'inscrit dans la rétine c'est pour ne plus s'en détacher... Alors, ouvrez bien les yeux !


Réalisé par Jaume Collet-Serra
Avec Vera Farmiga, Peter Sarsgaard, Isabelle Fuhrman
Film américain | Durée : 2h03
Date de sortie en France : 30 Décembre 2009

5 juin 2011

Le Chat du rabbin

Alger des années 20, un rabbin, sa fille, un chat qui parle et qui souhaite organiser sa Bar Mitzvah. C'est le nouveau projet cinématographique de Joann Sfar, à l'origine auteur de bande-dessinées. Après avoir marqué le biopic avec un Gainsbourg, vie héroïque qui osait donner des airs de conte à un genre pourtant bien installé, cette fois-ci Sfar s'attaque à l'adaptation directe de l'une de ses œuvres dessinées. Accompagné d'Antoine Delesvaux à la réalisation, les graphismes adoptés prêtent leur style à une 2D proche de celle de Michel Ocelot avec cependant le thème dominant de la religion qui se distingue de toute comparaison formelle.
Gainsbourg, vie héroïque parvenait avec un naturel saisissant à mélanger une narration rationnelle à une forme fantasmée et introspective, de même que Sfar mélangeait déjà les deux tons dans ses ouvrages. Ici, la marque fantastique trouve son empreinte dans ce personnage de chat narrateur, figure improbable dans un contexte historique pourtant bien réaliste. Le dessin absorbe toute la forme, faisant de ce Chat du rabbin un vrai film d'animation au visuel rétrospectif et au doublage vivant.
Esthétiquement, le rendu est plutôt intéressant : contours prononcés, le trait du dessin épais est sensiblement similaire à celui de la bande-dessinée, à la différence près que la fluidité du mouvement anime le tout. Idyllique, peu novateur mais inspiré, le rendu visuel est satisfaisant. Cependant, la 3D trouve ici un nouvel écueil. Mettre en relief une animation empilée n'a strictement aucun intérêt esthétique, et mange dans le portefeuille...
Mais le relief ne semble pas le seul élément vain. Si Sfar et Delesvaux offrent un graphisme léché, la vraie problématique du Chat du rabbin est son récit cloisonné, jamais passionnant et très peu accessible aux enfants. Pour les plus grands, le regard raisonné sur la religion permet une critique pas inintéressante (le chef rabbin hystérique) qui, tout en restant appuyée, sert à une vulgarisation des conflits entre Juifs, Musulmans et Chrétiens, qui dédramatise finalement l'ambiance. Mais cette lucidité de regard ne fait pas tout : le film souffre de son scénario faiblard qui traine son spectateur à droite à gauche, sans oser une quelconque tension dramatique. Quel dommage, car décidément il est difficile de se passionner pour l'histoire de ce chat, passif, qui suit une troupe masculine peu attachante aux ambitions maladroites. Pourquoi ne pas avoir insisté sur le personnage féminin ? Cette quête coloniale est louable mais ennuyeuse. Si la première partie du film suit bien son cours, il faut avouer que la narration tombe crescendo dans l'ennui... jusqu'à la fin qui n'en est, pour preuve, pas vraiment une, le générique arrivant de manière inattendue.
On attendait plus du Chat du rabbin et de son réalisateur césarisé, que cela soit dans le divertissement ou la surprise. Il faudra en fait se contenter de cette animation travaillée mais, malgré sa pertinence, statique dans son récit.


Réalisé par Joann Sfar et Antoine Delesvaux
Avec François Morel, Maurice Bénichou, Hafsia Herzi
Film français, autrichien | Durée : 1h40
Date de sortie en France : 01 Juin 2011

1 juin 2011

Minuit à Paris

Gil est en voyage à Paris avec sa future épouse et les parents de cette dernière. Fasciné par la capitale française, incertain de son avenir en tant qu'écrivain, bientôt la ville lumière lui offre les portes du paradis : à minuit pile le temps recule d'un siècle et lui permet de rencontrer ses idoles telles que Fitzgerald, Picasso, Dali... et bientôt la belle Adriana qui fait chavirer son cœur.
Woody Allen est le cinéaste ouvrier le plus apprécié du septième art : un film par an depuis quarante ans sans jamais vraiment se faire bouder. Si sa filmographie reste qualitativement hétérogène, le réalisateur américain à lunettes, qui a toujours affirmé n'être fier que de très peu de ses films, a pourtant sans cesse été accueilli à bras ouverts par la critique et le public. Ce Minuit à Paris, présenté en ouverture à Cannes, n'ira pas gâcher le buffet garni : onirique et charmeur à souhait, cette bluette sous forme de conte fantasmé se déguste avec un appétit prononcé, quoi qu'attendu.
Gil, interprété par un Owen Wilson a la classe rare, est le protagoniste allenien par excellence : un peu perdu, un brin excentrique et très hédoniste, le futur époux adopte le style du cinéaste avec beaucoup de naturel. Paris, ville des lumières et source de beaucoup de clichés pour ses étrangers, est ici éclairée sous son plus beau profil : lumineuse de jour, féérique de nuit, l'artifice est assumé dès une introduction carte postale retraçant la journée idyllique au cœur de la capitale romantique.
Toujours aussi narratif et visuellement perfectionniste, Woody Allen ne surprend plus dans sa mise en scène. Mais la direction d'acteurs et l'écriture des dialogues recèlent toujours d'une recette qui lui est propre. Minuit à Paris a cependant un petit plus, rajoute un nouvel ingrédient qui vient assaisonné le plat habituel : la bulle fantastique qui englobe ce personnage rêveur offre une dimension que l'on connait peu chez le cinéaste. Jeu avec le temps, réflexion sur la nostalgie et la consommation du présent, le film de Woody Allen séduit en ce qu'il raconte poétiquement et avec toujours beaucoup d'humour l'écume des jours et la fatalité du carpe diem. Le film ne cherche pas uniquement la séduction dans le bon goût : il la trouve dans la banalité attachante de son protagoniste tombant amoureux d'un rêve à défaut de se plaire dans son temps. Ceci en permettant à ce réalisateur singulier d'avoir le plaisir de diriger Bunuel ou Picasso dans le même film !
Alors si Minuit à Paris reste toutefois classique dans son approche allenienne – un personnage principal asocial qui multiplie les rencontres – l'atmosphère du conte opère joliment aidée par un casting étoilé (mention spéciale à Marion Cotillard, d'une beauté saisissante). Loin d'être le film du siècle, un peu long, convenu, et tout le reste, ce nouveau Woody Allen est toutefois un chocolat proprement emballé qu'il serait dommage de bouder.


Réalisé par Woody Allen
Avec Owen Wilson, Rachel McAdams, Michael Sheen
Film américain | Durée : 1h34
Date de sortie en France : 11 Mai 2011

La Conquête

Le récit de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy jusqu'à son élection en mai 2007.
Après le virulent J'irai au paradis car l'enfer est ici, Xavier Durringer signe, en compagnie de Patrick Rotman au scénario, un film qui a fait parler de lui sur la croisette. Dressant avec la plus grande fidélité possible le portrait du président de la République, cet essai unique en France a attisé la curiosité des cinéphiles et des autres. Le résultat est à la hauteur des attentes, ce qui n'est pas forcément un atout.
Après une phrase protocolaire ridicule (« Ceci est une fiction »), le générique très esthétisant étonne et attire l'attention, de même que pour ce premier plan astucieux qui problématise déjà tout le film : assis sur son trône, dans l'ombre, l'homme de tous les pouvoirs semble soucieux et effleure des doigts son alliance que le travelling fixe bientôt en plan serré. Cette audace fera pourtant figure d'exception. Que l'on ne s'en cache pas, La Conquête est un film certes maitrisé mais dont l'intérêt et la passion nous échappent quelque peu.
Fidèle à son thème dominant, le film de Durringer ne passionne pas : la politique apparaît toute aussi ennuyeuse et hypocrite que dans le quotidien. Là où l'entreprise ne faillit pas, c'est dans la représentation cynique de ce monde parallèle, prétendu au service de son peuple, qui représente en fin de compte un microcosme luxueux et intra compétitif. « J'ai ça dans les gênes, c'est comme ça » dit un Sarkozy face à un Villepin découragé. La Conquête est une biographie cinématographique qui ne plie pas face à l'exigence de son sujet mais qui apparaît bien comme la farce ironique que l'on pouvait en attendre ; une farce certes caricaturale mais sans doute pas si éloignée que ça de la réalité. Si Villepin apparaît uniquement comme un concurrent déloyal et Chirac comme papi fait de la résistance, ces archétypes sont en fin de compte au service d'un vrai portrait de cinéma, celui de cet homme avide de pouvoir mais aussi vulnérable que n'importe qui face à la femme aimée. Cette personnalité forte attise évidemment la curiosité des passionnés de fiction. Podalydès, parfait, parvient à donner l'épaisseur nécessaire à cet homme que l'on connait déjà sans connaître, sans trop l'humaniser, sans trop l'épargner non plus. L'ensemble des acteurs sont à la hauteur du risque pris.
Mais si La Conquête fait parfois sourire voire rire (la meilleure séquence est sans doute celle de l'enregistrement du spot de campagne), le film reste malgré tout un essai qui n'a de mérite que son projet. Simplement intriguant, le film de Durringer satisfait de son effet guignolesque, dépoussière la mystification cravatée d'une politique imbue, mais passionne autant qu'un mercredi après-midi à l'Assemblée Nationale.


Réalisé par Xavier Durringer
Avec Denis Podalydès, Florence Pernel, Bernard Le Coq
Film français | Durée : 1h45
Date de sortie en France : 18 Mai 2011

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