6 janvier 2012

Take Shelter

Récompensé à Cannes et à Deauville, Take Shelter est le premier grand rendez-vous cinématographique de l'année. On y suit ce père de famille attachant, Curtis, et le quotidien de sa petite famille. Avec Samantha son épouse et Hannah leur fille sourde et muette, ces derniers vivent tant bien que mal avec le handicap et une crise financière qui ne facilite pas la tâche des classes moyennes. Mais tout commence à basculer lorsque Curtis a d'étranges visions apocalyptiques. Un puissant pressentiment l'envahit alors et l'isole bientôt des siens : Curtis est convaincu qu'une énorme tempête approche et met en péril la vie de tous.
C'est le deuxième long-métrage de Jeff Nichols, un réalisateur peu connu qui risque sans doute de se construire ici une certaine notoriété. Take Shelter est une vraie réussite de genre, surprenante d'audace. En s'intéressant à la fin du monde - un sujet leitmotiv du cinéma et désormais d'actualité ces derniers temps - le réalisateur-scénariste prend à contre-courant son spectateur. Aussi éloigné que possible du traitement des blockbusters, Nichols utilise ici la paranoïa apocalyptique comme une toile de fond, et non plus comme un sujet spectaculaire. Résultat : Take Shelter s'offre moins comme un film de spectacle qu'une chronique familiale à hauteur d'homme qui, et c'est là sa grande force, semble convaincue de sa propre approche. Le réalisateur persiste et signe dans son jusqu'au-boutisme périlleux qui l'amène pendant tout le film à ne jamais quitter le point de vue de son personnage à la névrose en crescendo ; ceci jusqu'au délire d'esprit dont le spectateur est le seul réel témoin (très loin des psychologues peu concernés). Si la mise en scène est sûre d'elle-même c'est parce qu'elle ne tente jamais de faire attraction en impressionnant d'une quelconque manière : les visions rêvées ou hallucinées sont moins des chocs que des contemplations terrorisantes, à la fois magnifiques et sans cesse ambigües. Une des plus belles séquences s'arrête longuement avec un Curtis observant l'orage au loin, alors qu'il s'est arrêté sur le bord de la route : « Suis-je le seul à voir ça ? ». Dans ce balai d'éclairs menaçants c'est la question qui hante tout le film et qui, assez incroyablement, ne semble pas trouver de réponse. Le final, aussi ambigu que libérateur pour le spectateur (la résolution psychiatrique n'est pas suffisante), donne au point final de Take Shelter un sentiment de non-dit qui hante encore après le générique.
En allégeant au mieux sa mise en scène, Nichols parvient aussi à capter superbement le jeu des acteurs. Michael Shannon, de plus en plus emprisonné dans le cadre, signe une interprétation incroyable de claustrophobie tandis que Jessica Chastain, la muse de Malick dans The Tree of Life, confirme son talent à fleur de peau. Ils sont le cœur de ce film envoûtant qui raconte beaucoup de choses au-delà de son sujet (la famille, la fragilité humaine, ses peurs primaires) tout en se moulant dans un mystère discret. Un réalisateur à suivre, tant ce Take Shelter étonne de par son charisme et sa simplicité de forme, comme un plume qui en pèserait des tonnes.


Réalisé par Jeff Nichols
Avec Michael Shannon, Jessica Chastain, Tova Stewart
Film américain | Durée : 2h00
Date de sortie en France : 04 Janvier 2012

9 avis gentiment partagé(s):

Squizzz a dit…

ATTENTION SPOILERS DANS LE COMMENTAIRE

Globalement d'accord avec ce que tu dis (je reprocherais juste au film quelques longueurs et redites dans sa partie centrale), je n'ai cependant pas forcément vécu la fin comme toi. Bien sûr Nichols ne donne jamais clairement la clé entre schizophrénie ou vraies prémonitions, ce qui d'ailleurs aurait été une grosse erreur, mais pour moi le film ne parle que de maladie psychiatrique, y compris dans son final. Si au tout début j'ai pu douté de la réalité de ces rêves, le fait que le fantastique ne prenne pas plus de place, et que le point de vue devient au fur et à mesure plus extérieur en mettant plus en avant le rôle de la femme, tourne vraiment le film vers une interprétation plus cartésienne. La première fin (la sortie de l’abri) est pour moi la plus forte émotionnellement et signe vraiment l'acceptation de la maladie pour le héros et pour le spectateur. La deuxième fin, logique dans un esprit cinématographique et pour conserver le registre fantastique, n'est pour moi qu'une métaphore qui montre que la maladie finit par reprendre le dessus sur Curtis et va détruire sa famille et sa vie.

Jérémy a dit…

En fait oui, j'ai la même vision de la première fin. D'ailleurs le décentrement de point de vue s'opère déjà, car pour la première fois Curtis entend quelque chose que le spectateur n'entend plus (l'orage). Ce dénouement, au sens propre comme au sens figuré, est une délivrance.

Après, là où l'interprétation est plus difficile c'est bien sûr à propos du réel dénouement du film. La tienne est intéressante. Pour toi, le spectateur replonge en quelque sorte dans l'esprit malade de Curtis.
A vrai dire je serai plus du genre à penser que le point de vue ne se recentre plus sur Curtis : on le quitte dans l'abri et on ne le récupère pas à la fin. D'ailleurs c'est le regard insistant de la petite fille qui, pour la première fois, bascule la séquence. Ce n'est plus Curtis qui par ses sensations amène le film mais sa fille (de vraies sensations car elle est sourde et muette). J'aime l'idée que cette séquence finale se veut le contrepoint de celle du psychiatre qui la précède : et en fin de compte tout ne s'explique pas, et tout ne se guérit pas. Pour moi la maladie a ses limites dans 'Take Shelter', je trouve que le film met également en scène l'impalpable et l'inexplicable, les mystères qui hantent la nature humaine ("Suis-je le seul à voir ça ?"), sa solitude. Au final, ma vision de cette scène (et du film ?) est plus onirique et moins cartésienne que la tienne. Mais les deux semblent se tenir, c'est aussi le secret des bons films !

Yohan a dit…

Je ne lis pas tout, car la bande-annonce m'a fait très envie, et du coup je cherche à ne pas en savoir. Je reviendrai une fois que je l'aurai vu ;-)

neil a dit…

J'ai également assez apprécié le film, sa mise en scène toute en finesse et l'interprétation des acteurs et des actrices. Une très bonne surprise.

Robbin a dit…

Un film que j'irai sûrement voir au cinéma tellement je l'ai attendu...

Squizzz a dit…

Ta remarque sur la petite fille est assez juste (elle m'embête bien d'ailleurs, lol). Après est-ce qu'on retombe dans l'esprit de Curtis totalement, je ne sais pas trop, mais c'est vrai qu'en fait quand on me propose deux possibilités entre réel et irréel, j'ai tendance à opter pour la première, car je trouve ça trop simpliste de tout expliquer par l'inexplicable ^^. Dans tous les cas, que ce soit mon interprétation ou la tienne, les deux sont intéressantes car elles restent métaphoriques. D'ailleurs même si j'opte pour une explication plus cartésienne, j'ai trouvé le film également très onirique dans sa façon d'aborder la psychiatrie, ce qui au final le rend encore plus réaliste dans sa manière de retranscrire ce que peut ressentir un malade. Bref, plus j'en parle, plus j'aime ce film !

Christophe a dit…

J'ai aussi beaucoup aimé. Et la fin m'a vraiment touché. Je dirai même figé, comme les personnages... Comme toi, je pense que la solution ne réside pas seulement dans les troubles du personnages. En tous cas, tout est possible, en termes d'interprétation.

2flicsamiami a dit…

Je n'ai pas pu le voir ! snif snif :(

Jérémy a dit…

Yohan : Hésite pas à donner ton avis ;)

Neil : La mise en scène est en effet assez fine. Derrière son apparente simplicité, elle regorge et déborde d'idées originales.

Jacques-Henry Jacquart : Je te le conseille en tout cas !

Squizzz : Je vois ça ! ;) Justement, l'inexplicable par essence n'explique rien. J'aime bien l'idée qu'un film n'a pas à tout expliquer. Et je trouve que ce 'Take Shelter' est baigné dans ce mystère qui à défaut d'être réellement cartésien ouvre sur de nombreuses pistes de réflexion qui peuvent toutes avoir un sens.

Christophe : Oui, le film est comme un électron libre. La place du spectateur est considéré avec attention tout le long. Un autre trait auquel je suis personnellement attaché au ciné ;) .

2flicsamiami : Dommage ! Et pas de reprogrammation Télérama... VOD ou DVD maintenant ;) !

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