22 octobre 2011

We Need to Talk About Kevin

Après un passage mouvementé à Cannes (mais sans récompense), We Need to Talk About Kevin s'offre dans les salles obscures. La singularité du titre annonce celle de l'intrigue : le film suit le parcours d'Eva et de Kevin, une mère et un fils en perpétuel conflit. Sans raison apparente si ce n'est celle de ne jamais parvenir à se comprendre. Mais lorsque la situation devient dramatique, l'heure est à la remise en question maternelle : Eva a t-elle fauté ? Comment expliquer la déchéance de Kevin ?
Après un longue absence sur la toile, Lynne Ramsay adapte le livre de Lionel Shriver. Hantée par des démons universels et énigmatiques (la bonne éducation, le pardon, le Mal...), la réalisatrice met sans conteste de son cœur dans ce film pour le moins surprenant.
Portrait froidement réaliste d'une mère de famille déchirée, We Need to Talk About Kevin heurte son spectateur d'une étrange et efficace façon : pesant mais jamais dans la surenchère dramatique, haletant dans son suspens accrocheur, le choc souhaité opère. Le film contraint le regard, nous obligeant alors à intellectualiser un drame familial de pur mystère. En épousant sans cesse le point de vue d'Eva (le film opte une approche flashback), le spectateur est rendu complice, véritable témoin malgré lui d'un procès au crime effroyable mais à l'accusation inconnue. La mise en scène de Ramsay est virtuose lorsqu'elle se détache volontairement de ses protagonistes, offrant aux espaces vides de la maison familiale une étrangeté glaciale. Véritable exercice de l'antithétique, le film met en confrontation une mère distante et un adolescent provocateur, un lieu et une météo idylliques à une atmosphère étouffante.... L'image filmée perd alors de son apparence et se révèle sous son vrai jour avec cette dimension psychologique perturbante, rendue percutante par l'interprétation au couteau de Tilda Swington.
Si le résultat est à la hauteur des partis pris – en témoigne une critique dithyrambique pour la grande majorité – reste est de constater que le film pose sans doute quelques problèmes de forme. Très librement adapté du roman original, Ramsay décide de révéler l'élément perturbateur à la fin. Par des effets d'annonce qui tendent la tension dramatique, la réalisatrice joue avec les nerfs de son spectateur. Soit. D'ailleurs le film y gagne dans certaines réussites esthétiques bluffantes (la déconstruction narrative qui prend sens par la suite, le plan sur le rideau avec le son...). Cependant, l'inexcusable pudeur finale (la réalisatrice nargue son spectateur pendant une heure et demie pour... ne rien montrer) confère la sensation d'une escroquerie. La violence y apparaît alors d'une gratuité voyeuse et plus du tout glaçante, à l'image du père et de la fille, véritables archétypes jamais développés dont l'effroyable disparition ne parvient pas à émouvoir.
Percutant quoi que partiellement maladroit, We Need to Talk About Kevin vaut surtout dans son naturalisme implacable (rappelant quelque peu celui de Van Sant ou d'Haneke), qui ouvre une brèche dans un puits sombre où se cache des interrogations profondes, et où se devine surtout une fragilité humaine dont, sans doute, il faut parler.


Réalisé par Lynne Ramsay
Avec Tilda Swinton, John C. Reilly, Ezra Miller
Film américain, britannique | Durée : 1h50
Date de sortie en France : 28 Septembre 2011

5 avis gentiment partagé(s):

Squizzz a dit…

D'accord sur tout le début de ta critique (je fais partie des critiques dithyrambiques ^^), moins sur la fin. Ne pas montrer l'horreur me parait justifié, pour deux raisons. D'une part, elle est largement sous entendue par la violence psychologique qui règne tout le long du film, et ne rien montrer augmente peut-être encore cette violence. D'autre part, tout le film se place du point de vue de la mère (de ses souvenirs) qui n'a pas vécu directement ces derniers événements et ne veut en tout cas pas se les rappeler.

neil a dit…

Un film choc, peut-être un peu trop corseté par sa mise en scène que j'ai trouvé comme toi glaçante, mais rehaussé par l'interprétation magistrale de Tilda Swinton.

Jérémy a dit…

Squizzz : La violence psychologique est une grande force de film, oui. Une de mes scènes préférées est celle du golf pour cette raison. Mais à force de provoquer son spectateur par de nombreux effets d'annonce, cette violence finit par devenir pudique (je continue à penser que de ne pas montrer le twist à un spectateur est une erreur) ou à l'inverse d'une intensité insensible (un peu facile de trouer le père et la petite fille auxquels on ne s'identifie jamais).
Quant au point de vue, je pense que c'est un faux problème. D'ailleurs on épouse quelque fois celui de Kevin. On le voit bien préparer toute sa mise en scène, pourquoi ne pas le suivre jusqu'au bout ?

Mais, cela étant, j'ai quand même beaucoup apprécié ce film ^^ . Je trouve simplement qu'on lui concède quelques maladresses. Mais j'ai peut-être tord !

Neil : Tilda Swinton est parfaite, oui. Il y a juste l'acteur qui joue son mari qui m'a posé quelques fois problèmes. Leur couple peine un peu devenir crédible je trouve.
Le choc est en tout cas réussi.

Wilyrah a dit…

Pas du tout convaincu par ce film inutilement long et alambiqué.

Jérémy a dit…

J'ai eu du mal à être convaincu mais au final je ne trouve pas le résultat inutile. A la sortie, bien que j'étais mitigé, j'ai eu plus envie de le conseiller à des amis pour connaitre leur avis plutôt que d'en faire une mauvaise publicité.

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