29 avril 2011

Lost Highway

Fred et Renée Madison vivent dans une belle demeure mais leur vie de couple se meurt peu à peu dans le silence et la jalousie. Un jour, ils découvrent à leur porte une cassette vidéo : un inconnu filme leur maison de la rue, puis dans une seconde cassette va même jusqu'à filmer le couple endormi dans leur chambre. Paranoïaque, Fred sombre bientôt dans la folie à la vision de nouvelles images, le montrant hurlant sur le cadavre de sa femme, hâchée en morceaux... Jugé coupable du meurtre, il est condamné à mort et fait enfermé.
David Lynch, assurémment l'un des plus grands cinéastes contemporains, signe un nouveau long-métrage après avoir lancé le série Twin Peaks pour le petit écran. De son premier film cauchemardesque et torturé Eraserhead, à Elephant Man qui avait secoué les Oscars au début des années 80, celui qui avait préféré mettre de côté Le Retour du Jedi pour Dune et bientôt Blue Velvet et Sailor et Lula (Palme d'Or en 1990) n'avait pourtant pas marqué autant les esprits avec ce Lost Highway. Quinze ans plus tard, le fait reste encore plus étrange. Drame fantastique à tendance schizophrène, le film se fait le véritable précurseur des prochains Mulholland Drive et Inland Empire. Sans doute pas assez prêts, moyennement réceptifs, le public et la presse sont sans aucun doute passés à côté de cette œuvre en ébullition, incompréhensible pour les plus téméraires, froidement linéaire pour les plus attentifs.
Lost Highway est le premier David Lynch à brouiller des pistes pourtant bien tracées. Il y a dans ce film (ce que l'on retrouvera dans les deux prochains, en mettant de côté Une histoire vraie) une volonté de morfondre deux grammaires cinématographiques opposées : d'abord celle d'un cinéma classique dans une mise en scène tournée avant tout vers ses acteurs - champs contre champs répétitifs, gros plans, raccords dans l'axe... - et celle d'une forme narrative sans cesse mouvante, d'apparence insaisissable, qui trompe le spectateur quand il se sent trop confortable. Si Mulholland Drive excellera dans ces intentions, Lost Highway s'impose déjà dans l'exercice de style. D'abord thriller fantastique qui atteint son climax lors de la séquence de "révélation", romance d'adultère entre un jeune homme et la femme tentatrice du boss, un certain M. Eddy qui propose même certaines séquences de film gangster... Lynch a ce même goût des inspirations, déjà frappantes dans Blue Velvet, qui ici amènent bien le spectateur sur une autoroute perdue, jamais claires sur la destination, en fait toujours à hauteur des protagonistes, dont le paroxysme de la forme (connue et acceptée) au fond (d'apparence invraisemblable) peut évidemment choquer. Mais derrière cette façade de non conformisme, se cache un vrai film d'auteur qui pulvérise les codes de narration et éblouie toujours de tant de précision, Lynch parvenant à donner à ses films aussi complexes soient-ils une assurance et une maitrise qui déconcertent autant que la logique mystifiée de ses scenarii. Pour Lost Highway, de la direction d'acteur à la photographie, de la structure narrative à l'approche du son, tout s'harmonise pour donner à ce film aux mille thèmes (la place du créateur partagée entre David Lynch lui-même et ce personnage exorciseur, la seconde chance, le pouvoir sexuel féminin...) cette force singulière qui isole certaines œuvres des autres. Et autant dire qu'avec ce Lost Highway, rarement le cinéma aura été aussi perdu et confiant à la fois.


Réalisé par David Lynch
Avec Bill Pullman, Patricia Arquette, Balthazar Getty
Film américain, français | Durée : 2h15
Date de sortie en France : 15 Janvier 1997

6 avis gentiment partagé(s):

neil a dit…

Ce film est absolument magnifique, je suis d'accord avec toi. J'adore me perdre dans les méandres narratifs de Lynch et ici effectivement tout y est, comme dans Mullholand ou INLAND. Un petit bijou avec des acteurs excellents.

Sebmagic a dit…

J'aime de plus en plus David Lynch au fur à mesure que je le découvre. C'est le deuxième film que j'ai vu de lui et j'avais vraiment aimé, même si je n'en ai quasiment plus aucun souvenir. Je sais juste que je n'avais pas tout compris, mais que j'avais adoré quand même (comme pour Mulholland Drive). Je viens de finir la série Twin Peaks et ça me donne envie de continuer sa filmographie. Dans ma ligne de mire : Twin Peaks le film, Elephant Man, Blue Velvet et Dune. J'ai envie de voir Sailor et Lula aussi, bref, je veux tout me faire.

Dans Lost Highway je me souviens surtout du moment où un type meurt la tête sur la carre d'une table basse, es bras le long du corps. Enorme fou rire pour le comique de situation.

mymp a dit…

Avec Sailor et Lula, c'est vraiment le film le plus rock'n'roll de Lynch, et l'un de ses meilleurs. Je vois en tout cas, cher Jérémy, que tu es en train de te visionner une belle filmo en ce moment (Haneke, Wenders, Lynch, que du beau monde, et que du beau monde que j'aime !), et ça fait toujours du bien de lire des critiques qui ne sont pas orientées que nouveautés, mais qui reviennent sur des films phares du cinéma (j'en ai pas mal en stock, mais pas le temps de les publier à cause de la frénésie des sorties, en plus de Cannes qui se prépare !).

Mo5kau a dit…

Le meilleur de Lynch avec Mulholland Drive. Sera-t-il capable de renouveler l'exploit ?

Vincent a dit…

Ouep, un bien grand film de l'ami Lynch : son meilleur à mes yeux. Le plus beau visuellement, le plus troublant mentalement.

Jérémy a dit…

Neil : Oui, pour apprécier il faut accepter de "se perdre" dans l'univers de Lynch, je suis d'accord. Après, à mon goût, Lost Highway reste tout de même d'une logique narrative beaucoup plus accessible que celle de 'Mulholland Drive' ou (pire !) 'Inland Empire'.

Sebmagic : Je ne connais que très peu la série 'Twin Peaks'. Evidemment je te conseille 'Elephant Man', 'Blue Velvet' et 'Sailor et Lula'. 'Dune' m'avait moins convaincu.
Cette scène peut être comique oui ! Elle est surtout une crise cruciale, la dernière avant le climax final du rapport sexuel ("climax" dans les deux sens du terme donc). Le personnage n'a pu éviter la mort, la deuxième chance qui lui a été donnée ne vaut plus rien.

Mymp : Je vois beaucoup de films en vidéo, et je dois admettre que je suis plutôt un boulimique des grands auteurs (plus j'en découvre, plus j'ai l'impression de ne pas en avoir vu !). Et parler de très bons films comme ceux-là, essayer de mettre des mots sur des films qui ont déjà fait couler beaucoup d'encre... ca me plait beaucoup ;) .

Mo5kau : La question est posée en tout cas :D . Je ne me fais pas trop de soucis pour la suite de sa carrière...

Vincent : Visuellement, je crois que c'est mon préféré aussi. "Mentalement", je penserai plutôt à son dernier 'Inland Empire'.

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