22 avril 2011

Benny's Video

Benny est issu d'une famille bourgeoise. Il ne communique pas avec ses parents mais préfère plutôt perdre le sens des réalités dans sa passion pour la vidéo. Seul pour le week-end, il invite une fille croisée dans la rue à passer l'après-midi avec lui. Mais la rencontre prend une tournure dramatique... Il faut dire que Michael Haneke ne nous a pas habitué au plus tendre. Ici, il propose un film intéressant, sans aucune nuance une nouvelle fois, mais d'une radicalité dérangeante, quasi sensorielle, qui confère à Benny's Video cette même distance critique, le même regard sans concession sur une humanité affaiblie par ses propres leurres.
Benny est, à l'image de ses deux grand frères de Funny Games, un non personnage, un être vidé de toute émotion. Sur une autre planète, il ne réagit jamais mais demeure une éponge des films violents empruntés chez son loueur. Sur cette planète, plus rien est un drame car la morale a disparu. Ainsi, Haneke propose à son spectateur un meurtre, le fameux élément déclencheur, selon le regard même de cet adolescent déconnecté. Dans un écran de télévision, la fiction devient elle même génératrice de fiction. L'ambiance visuelle du film froide, bleutée, jamais contrastée, bascule le spectateur dans cette irréalité poison. Et ainsi, comme dans Funny Games, la violence n'est plus objet de la morale mais une provocation réactionnelle, que rien ne pourrait de toute façon justifier.
Ainsi, Haneke pose sa caméra comme selon les gestes de son personnage. En témoin distancé qui continue d'agacer certains cinéphiles, le cinéaste évacue toute moralité. Il souhaite rendre mal à l'aise, nous raconter une histoire trouée que notre propre regard doit pouvoir combler. Si dans Funny Games, les psychopathes provoquent directement face caméra les spectateurs, dans Benny's Video le réalisateur reste plus subtile, comme en retrait face à son propre film. Mais Haneke interpelle davantage lorsqu'il quitte Benny dans l'obscurité de sa chambre (bien que la porte reste entrouverte) pour se digérer vers les parents, mis au courant du drame par la vidéo, car cette famille n'a jamais su communiquer. Les figures parentales, bien que naturellement protectrices, sont les plus effrayantes du film. Discours froid dans le salon, que faire du corps ? Le découper en petits morceaux pour qu'il passe dans les tuyaux ? Inhumains et pourtant bien vivants, Haneke choque de par le naturel de sa mise en scène qui évite au mieux la démonstration pour privilégier la suggestion, bien plus horrible on le sait, qui prend ici la forme d'un voyage en Égypte pendant que joli papa joue de la boucherie dans la salle à manger. Toujours spectateur passif, pourtant Benny ressent le malheur sans toutefois le comprendre tout à fait, notamment lors de l'effondrement inattendu de sa mère, allongée sur un lit séparé, déjà morte. Puis vient le retournement, où fils et filles se retournent contre pères et mères leur criant à la figure : mais qu'avez vous fait de nous ? Il y a des accents de révolte proches de ceux de l'adolescent dans The Reader de Stephen Daldry, qui se pose cette même question générationnelle : comment vivre lorsque nos parents ont fauté ? Plus intime dans son sujet, mais autant dénonciateur dans le fond (l'Autriche reste profondément meurtrie dans le cinéma d'Haneke), Benny's Video s'observe plus qu'il ne se regarde, s'inflige plus qu'il ne plait mais s'impose lourdement dans la rétine et la mémoire.


Réalisé par Michael Haneke
Avec Arno Frisch, Angela Winkler, Ulrich Mühe
Film autrichien| Durée : 1h45
Date de sortie en France : 1992


En complément : la critique de Télérama.

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