A travers son affiche, son titre et même son synopsis, autant dire qu'en apparence Easy Money n'attire pas vraiment l'intention et surprendrait même de ne pas faire figurer le nom de Statham en guest stars. Mais à s'y approcher de plus près, on comprend qu'il est en fait question d'un film suédois, même l'un des plus grands succès cinématographiques du pays. De plus en plus prisé par les Etats-Unis (le chef d'œuvre de Tomas Alfredson Morse et la saga Millénium ont déjà le droit a un remake), le cinéma suédois contemporain commence à se faire sérieusement un nom en Europe et Outre Atlantique. Et ce curieux Easy Money ne viendra pas nuancer la donne.
Le scénario emprunte les bases du film chorale : trois personnages, d'abord éloignés, se lient les uns aux autres, les uns contre les autres, jusqu'au paroxysme inévitable qui fait exploser la cocotte minute. JW, brillant étudiant en école de commerce, beau de surcroit, bascule peu à peu dans le crime organisé devenant la tête pensante et bancaire d'une bande spécialisée dans le trafic de cocaïne. Jorge, qui vient de s'échapper de prison, veut y organiser un dernier grand coup avant de partir. Mrado, un tueur à gages expérimenté, est chargé de suivre Jorge.
La première grande force d'Easy Money est son scénario implacable, qui parvient sans faute à humaniser ses protagonistes. Joel Kinnaman est à la mesure de son personnage, d'abord naïvement attiré par l'argent facile puis rattrapé par une conscience douloureuse et bientôt insurmontable. En passant des étoiles dans les pupilles au regard figé, témoin de sa propre autodestruction, l'acteur signe une interprétation impeccable. Lueur éblouissante dans un gouffre à l'obscurité déjà irréversible, les attaches sentimentales sont traitées avec une justesse rare dans ce genre de film. Déringardisant le lever de soleil pour les déclarations d'amour, le réalisateur Daniel Espinosa parvient également à donner une cruauté frappante à la famille proche de Jorge, futur oncle touchant mais incapable d'aimer sans détruire, et à ce lien effroyable entre Mrado et sa petite fille tant puissant que moralement honteux. Tous trois en guerre les uns envers les autres, plus en guerre contre eux mêmes en vérité, ces trois figures de la grande corruption sont brossés en vrais portraits de cinéma, comme trois hommes qui laissent impunément couler entre leurs doigts ensanglantés l'amour qui leur est possible.
La mise en scène très sur le vif, sans cesse caméra épaule, accroche et dynamise le récit sans temps mort. Mais cette mise en scène, très inspirée pour dire vrai, convainc surtout dans certaines séquences isolées, étrangement plus calmes. Montage brisé, cadres décentrés, Espinosa offre des passages à l'esthétique intéressante (le plus assumé étant assurément la révélation de JW au musée, qui parvient à donner de la grâce aux faux raccords). Si la forme reste tout de même assez conventionnelle, on ne pourra pas reprocher à Easy Money sa mesure dans la violence et les sentiments humains. Marque heureuse d'un cinéma suédois visiblement très en forme, celle un peu moins d'un pays qui ne semble pas aussi idéal comme souvent présenté, Easy Money fonctionne de par son jusqu'au boutisme, et n'a pas à rougir face à ses références ni face à l'industrie internationale qui aurait tort de ne pas lui tendre la main...
Réalisé par Daniel Espinosa
Avec Joel Kinnaman, Matias Padin, Dragomir Mrsic
Film suédois | Durée : 2h04
Date de sortie en France : 30 Mars 2011
3 avril 2011
Easy Money
21:18
Jérémy
8 avis gentiment partagé(s):
C'est clair que cette affiche et ce titre desservent beaucoup le film qui, j'espère, connaîtra ici le succès qu'il mérite. Si je suis d'accord avec toi sur l'ensemble de ta critique (la scène dans le musée est effectivement très belle), le seul défaut que j'ai trouvé au film est le fait qu'il ne propose rien de nouveau en termes de polar. Le film est vif, bien foutu, bien joué, mais sans surprise. Dommage que Espinosa n'est pas réussi à "transcender" tout ça...
C'est un bon polar, classique, et qui n'apporte pas grand chose en effet. Mais il est bien réalisé (un peu trop "arty" et nerveux à mon goût mais bon...) et bien interprété.
Je suis assez d'accord avec vous deux. Il ne propose pas grand chose de nouveau, sans doute, reste que la mise en scène demeure très efficace quand même, et bien inspiré. C'est très bon, ça aurait pu être parfait ;) .
Pour les raisons que tu évoques au début, je n'avais même pas prêté attention au film. Puis en lisant ta critique et celles d'autres blogueurs, je me suis laissé tenter. Et je ne regrette absolument pas. En relisant aujourd'hui ta critique, je vois que je suis en parfait accord avec toi !
C'est un des avantages de la toile ! ;)
J'ai aussi cru à une daube avec Statham dans le rôle titre, mais en m'y intéressant davantage, j'ai découvert un film plus prometteur. Malheureusement, j'ai raté les dernières séances :(
Le film n'est pas sorti dans beaucoup de salles en plus, il fallait faire vite pour pas le rater.
Tu te rattraperas en vidéo (ou avec le remake avec Zack Effron héhé)
Impeccable : tendre, pudique, violent qui montre que tout homme a deux côtés et on retrouvera cela dans The Killing. Aspect politique intéressant : le lourd héritage de la Suède à la suite de la guerre du Kosovo. Un acteur magnifique et expressif, tout au contraire des pseudo bellâtres hollywoodiens. Il pourrait se dispenser de dialogues : son regard suffit.
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