14 janvier 2011

Black Swan

En quatre films, Darren Aronofsky a su conquérir un public large. Des délurés Pi et Requiem for a dream, au projet ambitieux The Fountain et au portrait vibrant de The Wrestler, le cinéaste s'est fait un nom qui gage la qualité. Une chose est certaine : Black Swan ne viendra pas ternir ce beau tableau. Extraordinaire, ce film est sans doute son meilleur, le premier grand rendez-vous de cette année.
Natalie Portman interprète Nina, une jeune danseuse classique prête à tout pour jouer le rôle principal du Lac des Cygnes, dirigé par Thomas – Vincent Cassel – d'apparence farouche et intéressé. Mais alors qu'elle ne s'y attendait plus, elle obtient le rôle, et provoque la jalousie de ses camarades. De plus en plus, alors que la préparation du spectacle avance, elle se sent épiée, folle, changée de l'intérieur ; implosée par le cygne noir qu'elle doit interpréter. Clairement, Aronofsky opte pour une mise en scène sensiblement proche de celle de The Wrestler. Caméra au poing, proche de sa protagoniste, le regard du spectateur est soumis au moindre geste de Nina. Son point de vue l'enferme petit à petit (et ici Pi et Requiem for a dream remontent à la surface), en créant une tension dramatique merveilleusement maitrisée. Black Swan est un crescendo empirique qui imbibe le spectateur à travers ce personnage tant passionné qu'abandonné d'une quelconque attache sentimentale, même celle d'une mère à la jalousie pulsionnelle. Ainsi, ce rôle, Nina en fait sa raison de vivre et la mise en scène fait de cette raison son unique attache. Darren Aronofsky nous sert sur un plateau d'argent tout le pouvoir du point de vue et de la force du cinéma. Le premier plan séquence, somptueux, ne contraste en rien avec tout le reste où l'image et le son n'accordent aucun répit. On est même parfois proche de la claustrophobie dans ces travellings à l'épaule, aux longues focales, qui déséquilibrent et perdent le spectateur... jusqu'à ce qu'il s'efface lui-même, en l'absence de son reflet. L'utilisation des miroirs frôlent la perfection tant elle fait fait passer des influences comme Cocteau ou Varda pour de l'anecdotique. Et entre ces murs de pierres froids, cette photographie à la fois terne et lumineuse, bientôt le rouge sang explose dans les pupilles de Nina et dans la forme même du film à l'image de la séquence de boite de nuit, véritable expérience sensitive, qui évacue le blanc pour un mal sans nom qui froisse l'épiderme. Perturbant, même terrifiant, Black Swan illumine de prouesses visuelles et sonores et s'impose sans proposer d'inutiles nuances. Sans le démoder, il redonne aux Chaussons rouges de la noblesse, en permettant en même temps de donner à Natalie Portman certainement son plus beau rôle jusqu'ici. Tous deux les corps meurtris par la passion, Aronofsky offre décidément la consécration à ses acteurs après le retour de Mickey Rourke. Et force indéniablement le respect tant ce Black Swan n'inspire qu'un mot lors du noir final : superbe.


Réalisé par Darren Aronofsky
Avec Natalie Portman, Mila Kunis, Vincent Cassel
Film américain | Durée : 1h43
Date de sortie en France : 09 Février 2011

30 avis gentiment partagé(s):

Christophe a dit…

J'ai hâte de découvrir...

Squizzz a dit…

Ca m'énerve !!! j'ai pas pu aller à l'avant-première des cinés gaumont/pathé. Et je serais pas non plus dispo pour celle de "127 heures", bref les deux films que j'attendais le plus quoi... Je me suis rabattu sur "Toi, moi, les autres", qui casse pas trois pattes à un canard, et "Rien à déclarer", film sympa, mais ce qui était le mieux c'était quand même la rencontre avec Benoît Poelvoorde et Dany Boon qui a suivi, plutôt cool.
Concernant "Black Swan", ta critique me rassure un peu, car j'ai eu quelques avis beaucoup plus mitigés.

Jérémy a dit…

Moi je ne pourrai pas participer à celle du 'Discours du roi' ce soir. Mais pour rien au monde je ne raterai celle de '127 heures' mardi ! 'Toi, moi...' ne m'intéresse que très peu.
En tout cas, 'Black Swan' a été pour moi (et pour tous mes amis au passage) une claque dure et radicale.

Squizzz a dit…

Bon ben pour compenser j'ai pas résisté et je me suis fait l'avant-première du "Discours d'un roi", plutôt réussi, avec un Colin Firth et un Geoffrey Rush au sommet de leur art, pour un scénario habile et une mise en image soignée. Critique prochainement. T'as raison de pas trop t'intéresser à "Toi, moi, les autres", qui aurait du revoir ses prétentions à la baisse, mais le charme du casting et un très beau travail sur la lumière et la réécriture musicale sauvent le film du naufrage.

Gabriel a dit…

Bande de chanceux !

Je l'attend ce film, je l'attend...

Chris a dit…

Black swan : franchement j'attends les arguments de ceux qui n'aimeront pas ce film. Pour ma part je n'en vois pas. Le film est parfait.
Le discours d'un roi : vu hier soir. Génial aussi, déjà deux films 5* en janvier, 2011 commence bien mieux que 2010.
Et mardi soir : 127 heures !

dasola a dit…

Bonjour Jérémy (je viens aussi de lire la dithyrambe de Chris). J'avoue que j'appréhende un peu. Je n'avais pas aimé The Wrestler et Requiem for a dream: la fascination pour la déliquescence des corps me gêne. Bonne journée.

Jérémy a dit…

Squizz et Chris : Vous donnez envie pour 'Le Discours d'un roi' ! Reste plus qu'à attendre pour moi qu'il sorte en salles. Et oui Chris - même si je n'aime pas tellement dire d'un film qu'il est parfait - je suis bien obligé de te suivre ici tant 'Black Swan' représente tout ce que j'aime voir au cinéma.

Dasola : Je ne sais pas si on peut parler de "fascination"... Peut-être que oui. Néanmoins, je trouve qu'il y a matière à s'intéresser au sujet au cinéma. Et je trouve qu'Aronovsky le fait merveilleusement bien. Puis il n'y a pas qu'une dimension physique, elle s'accompagne toujours d'une déliquescence psychologique aussi. Et pour ma part, ça me parle beaucoup, je retrouve dans ses films plein d'émotions, de sens, une pluralité d'interprétations en fait. Après je peux comprendre qu'on puisse être "repoussé" par cette redondance thématique... moi j'adore.

Wilyrah a dit…

Je n'ose pas lire la fiche (je le ferais après l'avoir vu) mais je me réjouis par avance de le voir :)

Jérémy a dit…

C'est sûr que le nombre conséquent d'avis positifs doit renforcer ton impatience ^^ . En attendant ton ressentit sur ton blog !

Félix a dit…

Très chouette ta critique ! :)

Jérémy a dit…

Tant qu'elle donne envie d'aller découvrir le film ! ;)

Cyril a dit…

Bel article, bien vu l'idée de la claustrophobie. Black Swan c'est du lourd mais c'est quand même un peu exagéré , ça aurait pu être encore mieux si Darren forçait moins sa mise en scène. J'attends son prochain film

Jérémy a dit…

Je trouve pas qu'il force quoi que ce soit. Je vois pas trop pourquoi "exagéré" ? Le passage progressif au fantastique ? Pour ma part, je trouve que c'est tout l'intérêt du film ;) .

Cyril a dit…

Bein il en rajoute beaucoup, et marque peut être trop son style, après ça reste subjectif.

Silice a dit…

Très bonne critique. Pour ma part, je ne sais pas quoi en penser. En sortant de la salle hier, j'ai ressenti comme une pointe de déception mais depuis je ne peux m'empêcher d'y penser et j'avoir envie de le revoir pour me faire une nouvelle idée de ce métrage. Pour le moment, je cale pour ma critique =P. Ce film me tracasse.
Mais je suis plutot d'accord avec Cyril, Aronofsky en fait peut-être un peu trop.

Jérémy a dit…

Cyril : Peut-être parce qu'il s'inscrit à la fois dans une veine très réaliste (caméra au poing) et à la fois assumée pleinement dans le fantastique. L'effet rendu est un style très particulier, très "marqué" c'est vrai, mais personnellement je suis un très bon client.

Silice : Ah ouais ? Habituellement, nous sommes plutôt d'accord, mais ça arrive ! ;)
Attend peut-être un peu pour le voir une deuxième fois, histoire de digérer un peu... ? Mais peut-être aussi que tu as lu beaucoup d'avis très satisfaits et donc du coup tu t'attendais à mieux. Ça m'arrive parfois quand j'abuse de lectures avant de voir un film.

Silice a dit…

A vrai dire j'avais fait attention à ne surtout pas lire les critiques mais je n'ai pas pu m'empêcher de regarder les notes (toutes très hautes) et je m'attendais à un chef d'oeuvre. Je me suis retrouvée face à un bon film qui ne m'a pas tant fait décoller que ça malheureusement (bon, sur chaque scène plus ou moins flippantes j'étais plus occupée à rire qu'à regarder l'écran ce qui n'aide pas).
Je vais attendre les vacances pour le revoir si j'ai toujours envie de le revoir (et de claquer du fric dans un film que j'ai déjà vu par la même occasion). Mais je crois en ce film et je suis assez dégoutée de ne pas l'avoir totalement aimé autant voir plus que les autres.

Wilyrah a dit…

La réjouissance dont je parlais plus haut a laissé place à la déception et à la révolte. Sa réputation était bien trop enflée. Black Swan est un film particulier, plein d'excès et bien trop peu subtile pour me conquérir. Dommage.
PS : j'ai répondu à ta plaidoirie sur mon blog ;) Amicalement Wilyrah

neil a dit…

C'est vraiment un des gros chocs de cette nouvelle année. Je n'étais pas allé voir The Wrestler mais les autres Aronofsky m'avaient déjà bien plu. Là je ne peux que constater qu'il mérite toute mon estime. Et que Portman s'impose (enfin).

Sebmagic a dit…

Entièrement d'accord avec cette critique, ce film est un sacré chef d'oeuvre, j'ai l'impression que ça va être difficile de le surpasser cette année. Aronofsky nous a tiré de son chapeau un truc de dingue avec un casting excellent aussi (Natalie Portman m'épate de plus en plus depuis V pour Vendetta). Tellement de symboles dans ce film, un final puissant. Vraiment merveilleux.

Tellement que je compte y retourner dans la semaine pour ressentir encore plus les choses.

Jérémy a dit…

Silice : Des fois ça arrive... on est frustré car on a l'impression d'être passé à côté de quelque chose de bien. C'est assez étrange, mais je comprends ton ressentit.

Wilyrah : Bon, tu sais très bien ce que je pense de ce film maintenant ^^ . Mais le débat est assez passionnant. Je continuerai de parler du film en te répondant sur ton blog ;) .

Neil : Je ne peux que te conseiller 'The Wrestler'.
Pour moi Portman s'était déjà imposée dans 'V pour Vendetta'. Mais c'est vrai que ce 'Black Swan' est sans conteste son film le plus important à ce jour.

Sebmagic : On est d'accord ! Bonne nouvelle vision.

Squizzz a dit…

J'ai enfin vu "Black Swan", je l'attendais autant que Silice et j'ai pas été déçu pour ma part ! Frissons en fin de projo et impossible de décoller de mon siège après le blanc final (et non noir, et c'est important pour ce film !). J'ai déjà lu quelques critiques sur différents blogs et c'est intéressant de voir que le film puisse avoir pas mal de lectures différentes.
Je suis d'accord avec toi pour le côté réaliste du film, avec cette caméra au poing et ce grain, ça permet de perdre le spectateur entre ce qui est réel et ce qui est imaginé par Nina.

Gabriel a dit…

Ha, cette scène de boîte de nuit... tout le film est parfait, magnifique, terrible.

copa738 a dit…

Très belle critique. Tu vas droit au but, sans laisser filer les détails importants.
Seulement, je n'ai pas vraiment été attiré par mes murs en parpains peints en noir. On m'en avait parlé avant que je vois le film. C'était censé être LE détail qui tue, mais je ne l'ai même pas remarqué une seule fois. Et c'est en charchant une image pour illustrer mon article que j'ai pu remarquer ces fameux décors.

Autre chose : Je ne sais pas si le nom du réalisateur peut changer, mais il me semble que ce soit Aronofsky, et non Aronovsky.

Jérémy a dit…

Squizzz : On a partagé les mêmes frissons je pense ;) .

Gabriel : La séquence de boite de nuit a quelque chose d'assez hypnotisant, oui. Ça m'a fait penser à celle dans 'Babel' qui m'avait autant marqué.

Copa : Ces décors assez austères personnellement m'ont bien marqué. Je trouve qu'ils jouent un rôle à part entière dans l'histoire, et l'ambiance qui est véhiculée du monde de la danse.
Merci pour l'erreur, c'est un peu comme pour Scorsese que j'écris toujours "Scorcese" : je fais l'erreur à chaque fois !

2flicsamiami a dit…

Film superbe effectivement. Techniquement sublime, musique magnifique, interprétation de haute volée. Comme toi, la scène en boite m'a vraiment surprise. Elle tranche totalement avec le reste du film (c'est ce qui fait, je pense, que l'on s'en souvienne).

Jérémy a dit…

La séquence de la boite de nuit bascule le film dans une autre dimension, oui, en faisant exploser la forme. C'est à la fois subtil et simple.
On est d'accord, très bon film.

Fri a dit…

De retour après une longue absence sur ton blog. Faut dire que je suis allé beaucoup moins au cinéma ces derniers temps donc pas trop possible de commenter...
J'aime beaucoup ta critique, t'as encore une fois capté l'essentiel qu'il fallait retenir de ce film. Natalie Portman est sublime dans ce rôle et la caméra d'Aronofsky est à sa place dans chaque plan.
Concernant ce que j'ai lu dans les commentaires, je ne suis pas vraiment étonné, car comme j'ai dis moi-même dans ma critique, chaque plan est tellement travaillé, tellement parfait, que ça peut lasser certains spectateurs, tout comme le choix de l'omniprésence du noir et blanc...

Leslie Pandélakis a dit…

eh bien je dois avouer que je ne savais pas trop quoi en penser en sortant de la salle, je n'ai rien ressenti en fait. La technique est très bonne, c'est indéniable proche de la perfection, mais l'histoire ne m'a pas touché. Étonnement Miss Portman joue très bien, mais son personnages n'a à mon humble avis aucune profondeur. J'ai du mal à y croire. En fait c'est même des personnages féminins plus forts qui m'ont attiré: la mère, ou l'ancienne danseuse ont un potentiel énorme qui n'est pas utilisé. Au final je ne trouve pas vraiment de subtilité dans la transformation en cygne qui est très démonstrative. Et puis bon, cette fille qui découvre sa sexualité toute grâce à son metteur en scène à trente ans passé... Même avec une mère castratrice tout de même... c'est un peu bancal. Pour la chute, j'avais compris le truc assez tôt et je n'ai pas été surprise. J'ai oscillé sans cesse entre aimer ou non ce film, et puis en fait j'ai décidé que ni l'un ni l'autre. Aronofsky m'a vraiment touchée avec the Wresler, pour ce qui est de requiem for a dream je le compare à un vulgaire film de teenager. Voilà, ce réalisateur est pour moi plutôt inégal, mais il touche des sensibilités différentes est au moins provoque un débat. Mais pour les sentiments et la sexualité féminine il repassera. C'est d'ailleurs le sentiment que j'ai avec de nombreux réalisateurs masculins sur ce thème. D'ailleur sur ce sujet courrez voir Fish Tank, qui n'a rien à voir avec black swan, mais qui pour moi est un chef d'oeuvre.

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