20 janvier 2011

Au-delà

Une chose est sûre : le Clint Eastwood de cette année ne sera pas fidèle à nos mémoires comme l'ont pu l'être – et surtout continuent de l'être – certains autres de ses films. La bande-annonce virevoltante et étonnante avait pourtant de quoi charmer. Alors même si le film profite d'un succès confortable, il semble plus tenir de sa belle promotion que du bouche à oreille (beaucoup de spectateurs dans la salle, visiblement peu de satisfaits à la sortie). Clint Eastwood avait malgré cela le potentiel d'émouvoir et de briller une nouvelle fois dans ce chassé croisé de personnages, qui touchés par la mort chacun à leur manière, finissent par rentrer en contact. Du haut de ses impressionnantes quatre-vingt années, on aurait aimé voir les faiblesses sensibles d'un grand cinéaste qui finira - on le sait - une caméra à la main. Malheureusement, on ne peut qu'y voir des faiblesses formelles qui empêchent l'immersion.
Replongée dans le tsunami de 2004, la première séquence introduit de façon efficace et impressionnante le spectateur dans la temporalité du film (approche réaliste comme pour l'attentat de Londres un peu plus tard) et dans son sujet. Marie, une journaliste française, survie miraculeusement. Puis vient George, un ancien médium américain au don extraordinaire qui rappelle à son frère qu'il ne veut plus exercer tant il souffre de sa faculté. Enfin, Marcus, un jeune enfant britannique, subit la perte de son frère jumeau, comme si la situation avec sa mère droguée ne suffisait pas. Une fois le portrait tiré, le film commence... mais ne se lance jamais vraiment. Tout d'abord, la plus grande maladresse du scénario est sa partie française, avec Cécile de France. Même si l'actrice y met de sa plus bonne volonté, le personnage ne trouve pas sa place et n'intéresse que très peu. Dans sa manière de la rompre d'une vie auréolée de succès où sa tête est quand même partout sur les affiches de Paris, Eastwood se plante et peine à rendre crédible cette part du récit. La maladresse atteint son sommet lors d'un repas de rupture où Marie déballe dans une tirade insupportable tout ce que le spectateur avait déjà compris, où lors de la mort d'une patiente à l'hôpital coupée court par un médecin à la réplique inopinée. Bref, avec ce scénario, bancale, le réalisateur ne semble pas y mettre beaucoup de cœur. Cependant, pour le jeune Marcus et le médium George, le problème n'est ni dans la crédibilité ni dans le déséquilibre. D'abord leurs interprètes sont très bons - Matt Damon est somptueux une nouvelle fois - mais le film aurait du peut-être ne s'attacher que sur eux. Malheureusement, les personnages peinent à prendre une réelle épaisseur tant la forme du film, d'une durée déjà conséquente, ne peut le leur permettre. Ainsi, les relations entre Marcus et sa mère, ou entre Matt Damon avec son frère ou, pire, avec Bryce Dallas Howard dégagée après trois scènes, n'émeuvent pratiquement jamais. Il y a tout de même quelques touches de grâce qui semblent flotter ici et là, un peu comme ces images latentes de l'au-delà, mais surtout cette rencontre entre les deux protagonistes, enfin percutante au bout de deux heures.
Eastwood ne perdra pas tout le monde sur le bas-côté, ne serait-ce que dans sa façon de filmer Damon, souvent en cadrage serré, avec toujours beaucoup de respect et d'humilité de metteur en scène. Pour le reste, autant dire qu'il ne convainc malheureusement pas, même dans sa photographie aux nuances pauvres. Comme quoi, le cinéma c'est un peu comme au jeu : parfois on gagne, parfois on perd. Alors si Clint Eastwood essuie ici un échec considérable, soyons humbles à notre tour et pardonnons le lui déjà.


Réalisé par Clint Eastwood
Avec Matt Damon, Cécile de France, Thierry Neuvic
Film américain | Durée : 2h08
Date de sortie en France : 19 Janvier 2011

22 avis gentiment partagé(s):

Squizzz a dit…

Les films de Clint Easwood, soit j'adore, soit je déteste. Je n'ai pas encore vu "Au-delà", mais vu les critiques il risque de se placer dans la deuxième catégorie. Dommage après les somptueux "Gran Torino" et "Invictus"...

Gabriel a dit…

J'ai trouvé les scènes avec Bryce Dallas Howard vraiment bien. D'ailleurs tous les acteurs et leurs personnages sont plutôt bon, le film est assez bien réalisé, mais... rien ne se construit. Pas d'intérêt, pas de sens. Très mauvais.

Flow a dit…

Toujours pas vu. Mais pourquoi le ciné est aussi cher! :s

Yohan Granara / Raphael K a dit…

Clint Eastwood commence à s'essouffler, quand on voit la daube supra-optimiste qu'est Invictus et ce que tu dis de cet Au-Delà, ça sent pas bon. Mais espérons un retour en force ( à moins qu'il n'ai finalement plus rien à dire.. ) A suivre !

Jérémy a dit…

Squizzz : Celui-çi risque certainement de se retrouver dans ta liste noire...

Gabriel : Assez d'accord. Même si les séquences lors du cours de cuisine m'ont un peu gonflé...

Flow : Sois étudiant en centre-ville de Rouen, c'est moins cher et plus accessible ;) !

Yo : Tant de conflits vis à vis d'Eastwood lol. T'as bien fait de pas l'avoir vu celui-là je pense.

Christophe a dit…

Avec Au-delà, Clint Eastwood s’essaie au film choral, sous la forme d'un récit structuré en trois épisodes. Evacuons tout de suite la question de la partie parisienne, dont tout le monde, même les critiques les plus indulgents, s’accorde à reconnaître la faiblesse. Je ne serai donc pas très original en relevant moi aussi que le spectateur français se sentira sans doute gêner par la méconnaissance dont font preuve le réalisateur et son scénariste, Peter Morgan, à l’égard de la politique de notre pays. Mettre dans la bouche d'une journaliste responsable d’un magazine d’investigation d'une grande chaîne publique que personne n’a encore étudié la part d’ombre de François Mitterrand est de fait assez consternant (l’action se déroule en 2005).

L’épisode anglais m’a en revanche davantage séduit. Sur certains blogs, j’ai lu qu’il était d’une sentimentalité dégueulasse (Filmosphere, par ailleurs excellent site) ! Un reproche qui me semble un brin outrancier. Je ne vois en effet pas en quoi le sentimentalisme peut-être qualifié de dégueulasse. Le racisme, la vulgarité, sans doute. Mais là, je ne comprends pas. A la rigueur, cela peut être agaçant, ridicule... Quoi qu’il en soit, j’ai été sensible à l’évocation pleine de justesse de cet univers ouvrier et à l’interprétation des jumeaux et de leur mère à la dérive.

La partie américaine fait le lien entre les deux autres récits, grâce au personnage incarné par Matt Damon. Inégale dans son traitement, elle donne tout de même lieu à une très belle scène de dégustation à l’aveugle, joliment sensuelle, au cours de laquelle Bryce Dallas Howard se confie à George. Il est simplement dommage que leur relation ne soit pas davantage développée.




D’un point de vue formel, Clint Eastwood fait montre une nouvelle fois d'une parfaite maîtrise, notamment à l’occasion de la reconstitution du tsunami, impressionnante (même si quelques effets numériques auraient pu être plus soignés), et de la séquence de panique dans le métro londonien. Le talent du cinéaste transparaît également dans des plans moins spectaculaires, plus intimes, mais tout aussi forts, tel celui où, après la mort de Jason, la caméra s’élève vers le ciel, comme dans Mystic river après la découverte du corps de Katie Markum. Si l'on devait mettre un bémol, tout juste soulignerait-on la théâtralité exagérée des flashs de George, qui auraient pu être rendus d’une manière plus subtile, ainsi que le caractère un peu conventionnel des représentations de l’au-delà, avec des silhouettes évanescentes immobiles dans un espace éclatant de lumière.

Certes, Au-delà n’occupera probablement pas une place majeure dans la très riche filmographie d’Eastwood. Ce film n’est pas pour autant aussi infâmant que certains se plaisent à l’affirmer. Il a du moins le mérite de prouver la cohérence de l’œuvre du réalisateur. Car on y retrouve des thèmes maintes fois abordés au cours de sa carrière (le poids du passé, la mort, le surnaturel…). De plus, il illustre avec beaucoup de tendresse le lien mystérieux unissant les vivants à leurs morts. Comme l’a noté Lee Chang-dong (l’auteur du très beau Poetry) lors du dernier festival de Toronto, Au-delà est un film apaisant, qui prend le contre-pied de tous les principes du cinéma hollywoodien d’aujourd’hui (Source Le nouvel observateur).

Jérémy a dit…

L'ensemble vient du Nouvel Observateur ?
Les arguments se tiennent, même si l'unique désaccord c'est que je n'aurai pas dit que le sentimentalisme du film est "dégueulasse" mais simplement lassant et trop lisse.
Puis prendre à contre-pied "tous les principes du cinéma hollywoodien d’aujourd’hui", je trouve pas ça si pertinent que ça dans 'Au-delà"... Il faudrait peut-être que Chang-dong développe pour que je puisse mieux comprendre. :)

Wilyrah a dit…

Pas eu le temps encore. Et ton avis n'encourage guère.

neil a dit…

J'ai été assez déçu aussi par le film. Beaucoup de clichés, peu d'émotion... même la fin je la trouvais tirée par les cheveux.

Jérémy a dit…

Wilryah : C'est vrai que c'est pas encourageant, mais si tu as l'occasion vas-y quand même :) . On est jamais mieux servi que par soi-même.

Neil : La fin est très maladroite, à l'image de l'ensemble du film en fait...

Squizzz a dit…

Malheureusement le bouche à oreille doit pas être si mauvais que ça, vu le monde qu'il y avait ce soir, pour une 2e semaine. En tout cas, c'est pas moi qui vais conseiller le film, vu que je te rejoins en tous points !
"le film commence... mais ne se lance jamais vraiment", c'est le moins qu'on puisse dire ! Je m'emm...dais tellement au "début" que j'en étais à espérer qu'Eastwood développe la recette de la sauce tomate, ça m'aurait plus intéressé (malheureusement il a préféré développer d'autres détails moins intéressants). Bref, j'ai fini par regarder ma montre quand je trouvais que l'intro n'en finissait vraiment pas, mais faut croire qu'on était déjà au cœur du sujet vu qu'il s'était déjà écoulé 1h15... Le gros problème est sans aucun doute le développement en parallèle de trois histoires, qui allonge chaque phase du film de manière interminable.
Et c'est clair, "la plus grande maladresse du scénario est sa partie française", donc autant la virer tout bonnement (pourtant j'adore Cécile de France), vu qu'elle n'apporte rien, à part de nous infliger une scène finale indigeste.
Le personnage de Matt Damon est intéressant, mais finalement on en a rapidement cerné le problème, donc le film n'a d'autre choix que de se répéter (et pis il m'a déprimé ce personnage !).
En fait la seule histoire qui m'ait vraiment touché est celle du jumeau. C'est à se demander si Eastwood n'aurait pas mieux fait de faire un film sur cet enfant qui perd son frère jumeau, je pense que ça aurait suffit à remplir un film (même si le sujet ne serait plus vraiment le même).
On a quand même droit à quelques belles scènes, à commencer par la rencontre entre le médium et l'enfant (j'avoue la gorge s'est nouée...), la scène du métro londonien, ou encore la dégustation les yeux bandés.
Bon, je croise les doigts pour que le prochain Eastwood soit dans la catégorie "J'adore"

Cyril a dit…

Une demi portion de la part d'Eastood, pas totalement mauvais mais dans l'ensemble assez faible. Matt Damon est quand même très fort.

Jérémy a dit…

Squizzz : "Malheureusement" je sais pas ^^, au moins ça profite à l'industrie du cinéma :b .
Sinon, oui, on est d'accord. A part pour la séquence de dégustation, qui m'a donné le goût amer d'une comédie à l'eau de rose fanée.

Cyril : Je trouve Damon bien aussi (même si c'est loin d'être son meilleur rôle, c'est clair).

Squizzz a dit…

J'ai un peu ressenti comme toi au début de la scène de la dégustation, mais après je sais pas, elle a fini par me séduire

Maria Julia a dit…

Qui dit grandes attentes, dit aussi grandes désillusions. Et c'est ce qui s'est passé pour le nouveau Eastwood. J'ai été plus véhémente que toi, mais au final, je lui pardonne (wooo quelle grandeur d'âme =p). J'espère surtout qu'il se rattrapera sur J. Edgar!

Flow a dit…

Je l'ai enfin vu.
Et je rejoins ton avis. Tout est là mais on ne ressens jamais rien... On s'ennuie. Dommage!

Jérémy a dit…

Squizzz : Aurais-tu des petits penchants pour Bryce Dallas Howard ? ^^

Maria Julia : Oui, il reste plus qu'à espérer mieux au suivant.

Flow : Dommage est le mot. Il y a des films qui ne nous plaisent pas mais finalement on s'en fiche. D'autres qui frustrent. 'Au-delà' fait personnellement partie de ceux-là, non pas seulement parce qu'Eastwood est à la réal' mais aussi car le sujet et sa manière de l'aborder aurait pu donner quelque chose. Mais "on ne ressens jamais rien" au final, je suis d'accord.

Sebmagic a dit…

Je suis d'accord pour dire que la partie française est vraiment inutile et sans grand intérêt (à part le début du film avec le tsunami et l'expérience de mort imminente, qui mettent directement dans le "bain"). A part ça, l'histoire de Cécile de France est hyper chiante.

Pour le reste, j'ai trouvé le film plutôt bon, les deux autres intrigues ne sont à mon goût pas ratées, Clint Eastwood garde encore sa sensibilité et m'a personnellement ému (notamment pour les jumeaux). Par contre c'est effectivement ultra-dommage que Bryce Dallas Howard soit dégagée aussi rapidement, c'était clairement l'un des gros points forts du film. J'aurais aimé qu'elle réapparaisse, mais non. La fin aussi est à mon goût très faible, avec cette intrigue amoureuse entre Matt Damon et Cécile de France qui est entrevue. What the fuck ?

Voilà, pour le reste je ne suis pas tellement d'accord pour dire qu'on ne ressent rien. En tout cas pour ma part, de nombreuses scènes ont eu leur effet même si ça ne va pas aussi loin qu'un Million Dollar Baby ou Gran Torino.

Jérémy a dit…

L'histoire des jumeaux m'a un peu touché aussi mais je trouve l'approche maladroite. La chorale a du mal à s'installer, j'ai eu beaucoup de mal à l'ignorer...

2flicsamiami a dit…

J'ai quand même était émue par certaines scènes... mais pas par la fin, que tu as trouvé percutante mais que j'ai trouvé plutôt lourde (avec une musique qui en rajoute trop dans le larmoyant). Après, je suis d'accord : ce n'est un Clint vraiment mineur, mais pas non plus à jeter aux orties.

Jérémy a dit…

Quand tu parles de la fin tu penses à la rencontre entre Damon et l'enfant ? Car je ne me suis peut-être mal fait comprendre, mais la conclusion du film je l'ai également trouvé gerbante de mièvrerie...
Bon, moi je préfère l'oublier !

2flicsamiami a dit…

Je parlait de la fin du film entre Cecil de France et Damon, ou il rêve de l'embrasser.

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