5 mars 2012

Bellflower

Nouveau phénomène indé des Etats-Unis, Bellflower est promis à un bel avenir. Le film est beau, parfois laid, cruel mais sans cesse attachant : c'est une pépite inattendue qui fait la nique aux grands studios et donne l'envie de croire encore à un cinéma d'auto-entrepreneur.
Financé au compte-goutte par ses propres interprètes, le film d'Evan Glodell est un pari véritablement réussi. Intriguant et passionnant de bout en bout, Bellflower se nourrit de façon évidente des road-movies des années 70. Easy Rider, Vanishing Point, Macadam à deux voies... La perte des illusions de mai 68 et le désir profond de rompre avec un cinéma classique avaient vu naître des chefs d'œuvre du cinéma indépendant. Dans le film d'Evan Glodell, on y retrouve la même lenteur, la même quête insouciante de liberté, et en contre-partie la même tragédie du départ impossible. Quatre décennies plus tard, rien ne semble avoir réellement changé.
Dans une ambiance apocalyptique à la Mad Max, Evan Glodell signe sur tous les points (jeu, scénario, réalisation, montage, production) un film déroutant qui frôle de part en part la dérive dans laquelle tanguent ses personnages. Consommant leur quotidien dans la bière et leurs délires paranoïaques sur un chaos divinatoire, c'est à leur propre apocalypse que Woodrow et Aiden se préparent. Les personnages, comme le film, sont déconnectés de tout. Leur fantasme : cette voiture Medusa, cracheuse de feu, qui les guideront vers la domination du monde. Il y a du Araki dans cette manière de toucher une jeunesse en dérive (ici matérialisée par la dépression amoureuse du protagoniste) et parfois même du Lynch dans la manipulation du récit. Dans un amateurisme technique parfois extrême, Evan Glodell ne cesse pourtant d'être pertinent, de multiplier les pistes de réflexion, sans pour autant écarter son film d'une bonne appréciation. Car la mise en scène en ressort fabuleuse, frôlant souvent une avant-garde dans sa manière de mélanger tous les styles. Le film est autant un bluette amoureuse qu'un road-movie contemporain qui s'égare même dans le western revisité (la photographie, le duel à la batte de baseball). Mais qu'importent les références : à l'origine même du projet, Glodell a commencé à écrire le film pour exorciser sa propre déception amoureuse. Il y a bien une volonté palpable de parler de soi, de sa génération, de ses déboires ; une volonté pareille à celle des jeunes cinéastes de la Nouvelle Vague qui, à leur époque, n'avaient de cesse de se faire témoins par le cinéma.
La beauté de Bellflower est d'en avoir naïvement, même inconsciemment, la même force. Ce teen-movie à la Mad Max financé entre potes devient alors soudainement un véritable film de témoignage sur une jeunesse bouillonnante, perdue, lumineuse, au désir profond de brûler les conventions du passé (cette Milly's Shit qu'il faut faire disparaître, mais comment ?). Une jeunesse à l'image de ce cinéma instable, obsédé par l'impondérable et la nécessité de se mettre en scène. Le grand coup de cœur de ce début d'année.


Réalisé par Evan Glodell
Avec Evan Glodell, Jessie Wiseman, Tyler Dawson
Film américain | Durée : 1h46
Date de sortie en France : 21 Mars 2012

10 avis gentiment partagé(s):

mymp a dit…

Très déçu pour ma part, je me suis emmerdé grave pendant plus d'une heure, et seule la fin a ravivé en moi un peu d'intérêt (sans doute parce qu'on pense à Mulholland Drive !). Le problème, c'est que l'histoire d'amour racontée (et sa rupture) n'est absolument pas intéressante ni profonde. Ca reste trop premier degré, sans vertige. Vraiment dommage.

Jérémy a dit…

On a vu le même film mymp ?
Justement l'histoire d'amour est trompeuse. Bellflower est tout sauf une romance : tu as raison, cette micro intrigue est inintéressante. Ce qui l'est moins, et c'est ce qui est absolument remarquable ici, c'est son traitement cinématographique : si Glodell part de ce point de départ, il signe en fait un film sur une génération, sur ses limites, sur son désenchantement et son errance dans l'absurde.

Lynch n'est pas loin c'est vrai. Bellflower fourmille d'une multitude de références toutes plus involontaires les unes que les autres (j'en suis convaincu). Car la grande force du film est de ne jamais faire "à la manière de" si ce n'est sa manière propre, parfois imparfaite, souvent amateur. Prendre la caméra, être convaincu de ce que l'on raconte : expériences ou non, le résultat est stupéfiant.

Alors si ce film est premier degré ou sans vertige... Faut qu'on me réexplique réellement ce que signifie "premier degré" et "vertige". Car Bellflower ne cesse d'aller au-delà des limites et se digère plus qu'il ne s'interprète. Le film est comme la partie immergée d'un iceberg : ce qu'il raconte est justement bien plus profond et implicite. Le fil rouge entre les deux : cette rage quasi palpable et violente qui crève l'écran. Mais bon mes propos sont un peu radicaux : dans Bellflower il a juste tout ce que j'aime dans le cinéma !

Phil Siné a dit…

un film si déroutant qu'il m'a du coup bien moins convaincu que toi... ;)
mais je crois que je comprends ton enthousiasme...

mymp a dit…

Pourquoi l'histoire d'amour serait-elle trompeuse ? C'est la b-a qui l'est ! Pendant plus d'une heure, on suit mornement la romance entre Milly et Woodrow (premier degré = trop évident. Vertige = trouble) qui reste trop évidente, trop superficielle et sans trouble, limite mauvaise sitcom. Certes, la rupture amoureuse est LE vrai sujet du film, mais j'ai envie de dire tout ça pour ça ? La dernière demi-heure est intéressante parce qu'elle télescope les sensations et les temporalités (comme MD donc) pour traduire le désordre intérieure de Woodrow. Visuellement, c'est sympa, mais pas transcendant pour ma part. Je n'ai pas marché, je n'ai pas été transporté comme toi.

Wilyrah a dit…

Je ne sais qu'attendre de ce film que je vais découvrir mardi soir.
En revanche, la référence de Mymp à Mullohand Drive m'inquiète, vu comme je vomis ce film.

Mo5kau a dit…

Intrigué par les références (Mad Max, Mulholland Drive, Vanishing Point...). Vais me renseigner et voir si une séance est programmée près de chez moi, merci pour l'info !

Squizzz a dit…

Je comprends chacun des points de vue, autant l'emballement de Jérémie que le scepticisme de mymp. Côté mise en scène, rien à dire, c'est exactement le genre que j'aime. Par contre le film m'a parfois laissé perplexe notamment dans sa première partie assez convenue et qui peine à démarrer. Ensuite si la fin explose bien, on est à la limite de l'overdose. Perso ce sont les derniers plans, ceux du générique, qui ont fini par me convaincre, car ils donnent toute sa force au film, en mettant en valeur, par contraste, l'apocalypse intérieure de Woodrow qui a précédé.
En fait je trouve que tous vos commentaires définissent bien le film, que je trouve finalement plus intéressant a posteriori que pendant la projection. Pour moi c'est typiquement un film qui murit à force d'y repenser, d'échanger ses impressions avec celles des autres. Donc continuer à débattre, le film n'en sera que meilleur (enfin pour moi...)

Wilyrah a dit…

Il ne passe que dans le ciné où je travaille donc pour l'instant, je vais attendre d'en trouver un autre :)

Bobi a dit…

Juste bouleversant, un film sincère et généreux ! Une grosse claque dans la gueule.

Mo5kau a dit…

Le film est fidèle à la BA, pas de mauvaise surprise pour ma part. Le traitement est assez radical, et au final Bellflower ne laisse pas indifférent !

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