21 mars 2012

38 témoins

En voilà du jeune cinéma français ! Une semaine avant les prometteurs Adieux à la reine de Benoit Jacquot, Lucas Belvaux adapte le livre de David Decoin (Est-ce ainsi que les femmes meurent ?). Après Rapt, le réalisateur se penche une nouvelle fois sur un fait divers, l'écrivain Decoin s'inspirant lui-même d'une tragédie s'étant déroulée aux États-Unis. Transposée au Havre - ville décidément atypique sur les écrans français ces derniers temps après La Fée ou Le Havre - cette histoire sombre de réalisme articule ce polar aux faux airs de mélodrame : en pleine nuit, une jeune femme se fait poignarder dans la rue de plusieurs coups de couteaux. Malgré l'atrocité du crime, personne n'a rien vu, rien entendu. Ni même Pierre (Yvan Attal) qui rassure alors sa femme Louise (Sophie Quinton) fraichement revenue de Chine. Mais bientôt, Pierre, discret de nature, ne peut plus contenir son mensonge : il a entendu les horribles hurlements, d'ailleurs tout le monde les a entendu, et - comme tout le monde - il n'a rien fait non plus, rien, pas même donner un coup de téléphone. Sa vie s'arrête car il se sent lâche et honteux. Il est le premier des 38 témoins à avouer la vérité, et à provoquer bientôt le procès au tribunal de tous les autres pour non assistance à personne en danger.
On ne ressort pas indemne de 38 témoins : le film est une véritable réussite dans la considération de son spectateur, trente-neuvième témoin malgré lui, qui se retrouve alors face à ce sombre théâtre à la catharsis redoutable : qu'aurais-je fait en pareille situation ? Suis-je moi même un lâche ?
Le film de Belvaux offre un regard plein de justesse et de nuances sur nos sociétés modernes. Individualiste jusqu'à la faute morale, comment en arrive-t-on à se mentir à soi-même ? Inspiré du Falkenau de Samuell Fuller, ici le génocide juif se minimalise dans cette intrigue criminelle : apeurés d'être impliqués et dans un soucis d'auto-protection nombriliste, 38 témoins questionne admirablement les citoyens que nous sommes tous.
La grande prouesse de Belvaux est ici de ne pas se plier à la figure du protagoniste vertueux. Pierre, formidablement joué par Yvan Attal, n'est pas un héros, seulement le plus courageux des lâches : J'ai avoué car la peur des représailles m'aurait hanté à vie. Ou autrement dit, je fait ça seulement pour moi, ni pour les autres ni pour la victime. Il n'est jamais question de rédemption, seulement de culpabilité. Dans ce Havre grisé, au ralentit dans son port bruyant, 38 témoins évacue de fait toute l'enquête policière. C'est l'humain le vrai cœur du film, le plus sombre et plus masqué derrière son identité civilisée.
Dommage que la théâtralité parfois abusive des dialogues, ou le mélodrame convenu de la relation amoureuse déséquilibre l'ensemble. Car tout le reste de ce film miroir bourdonne encore dans la tête, à l'image de cette sublime et effroyable séquence de reconstitution ; preuve solide de la maturité du cinéma de Belvaux qui, en montrant le pouvoir de la fiction à révéler la vérité, n'a pas finit de comprendre le cinéma et d'en exploiter ses richesses les plus secrètes.


Réalisé par Lucas Belvaux
Avec Yvan Attal, Sophie Quinton, Nicole Garcia
Film français | Durée : 1h44
Date de sortie en France : 14 Mars 2012

2 avis gentiment partagé(s):

Squizzz a dit…

Coup de coeur pour moi aussi. Globalement je suis d'accord avec toi, sauf pour la relation amoureuse, qui je trouve dramatise justement bien l'argumentation et la contre-argumentation du film.

Yohan a dit…

Un film intéressant, très bien mis en scène, avec de très bons acteurs. Je suis un peu réservé sur Yvan Attal, mais il semble avoir joué comme le lui a demandé Belvaux. Et si tu ne l'as pas encore fait, je te conseille très vivement de voir la trilogie Un couple épatant/Cavale/Après la vie, signée par Belvaux il y a dix ans.

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