Ours d'Argent pour tout le casting et Ours d'Or du Meilleur Film, Une Séparation a brillé au dernier festival de Berlin. A la réalisation, un nom encore peu connu, Asghar Farhadi. Il faut dire que le cinéma iranien n'est pas le plus populaire à l'international. Quel dommage ! Cette Séparation donnerait envie de se plonger dans tous les autres films. C'est son précédent métrage, A propos d'Elly, qui avait ouvert à Farhadi les portes de l'Europe et de l'Amérique. Encensé, Une Séparation devrait confiner à ce cinéaste inspiré une bonne assurance. Poignant, le film est une plongée bouleversante dans la réalité difficile d'un couple fracturé. Simin veut quitter l'Iran pour assurer un avenir à sa fille. Nader est trop attaché au pays et à son vieux père malade qu'ils hébergent. Simin part chez sa mère, obligeant Nader à payer une aide-soignante. Tout bascule lorsqu'une dispute finit devant le bureau du juge : l'aide-soignante, accompagnée d'un mari violent, accuse Nader de l'avoir poussé et provoqué sa fausse couche.
Il y avait quelques temps que le cinéma étranger ne s'était pas imposé avec tant de force sur les affiches de l'hexagone. On pense à Pablo Trapero et Carancho dans cette caméra épaule proche de ses personnages et ce scénario d'un réalisme bluffant. Outre ce réalisme qui s'accompagne d'une performance d'acteur incroyable, Une Séparation a surtout un don pour la confidence, la forme filmique type documentaire ne servant jamais un propos unique. Au cœur des réalités sociales, Farhadi donne à penser son film : lorsque le scénario étouffe ses fils autour du procès juridique, le cinéaste ne prend jamais parti et oblige son spectateur à se poser les questions. Et dans ce tourbillon éprouvant de culpabilité, le réalisateur ne l'épargne pas car aucune question ne s'avère être la bonne à se poser. C'est dans ce spectacle moralement éprouvant et altruiste que Farhadi touche des moments de grâce. La rapport entre père et fille est d'une justesse rare : le mensonge, la dureté de la vie, l'audace... toute cette éducation se fait dans un silence saisissant (de la séquence de l'essence, au dénouement avec la fille qui part en voiture). De tous ces portraits, jamais manichéens et c'est bien là leur force, se tissent le lien du choix. Une Séparation met en scène une chorale de personnages tantôt soumis à des choix, tantôt responsable de ces derniers. Si la religion est logiquement importante, elle n'est vue qu'à travers sa morale (le climax de la promesse impossible) ; ceci en ne soumettant jamais de fil rouge conducteur jusqu'à ce dernier plan indécis, toujours fracturé sinon plus, n'offrant aucune autre réponse que notre propre regard de spectateur.
Film politique ? Allégorie des rapports humains ? Une Séparation est peut-être tout ça à la fois. Le simple titre peut être lu au-delà de son sens formel (séparation entre un pays étouffé et l'Europe, séparation entre la dignité humaine et ses besoins de reconnaissance...). Mais il serait dommage d'enliser le film dans une lecture uniquement portée sur l'intellect. Car comme ses petits frères qui parviennent au compte goutte dans nos cinémas – on pense évidemment à Fatih Akin ou Eytan Fox – Farhadi propose avant tout un film qui se vit, se regarde et se digère. Et même si la perfection semble encore frôlée (un mouvement de caméra incessant, une exposition bancale) reste qu'Une Séparation demeure une pépite explosive, celles dont le goût acidule d'inattendu.
Réalisé par Asghar Farhadi
Avec Leila Hatami, Peyman Moadi, Shahab Hosseini
Film iranien | Durée : 2h03
Date de sortie en France : 08 Juin 2011
13 juin 2011
Une Séparation
22:09
Jérémy
6 avis gentiment partagé(s):
Asghar Farhadi confirme tout le bien que je pensais de lui, depuis le très beau A propos d'Elly
Le scénario est effectivement très subtile et ménage une intrigue absolument pas manichéenne, comme tu le dis. Les acteurs sont très justes et la mise en scène impeccable. Du beau cinéma.
Une œuvre cinématographiquement très aboutie, et très complète et complexe dans tous les thèmes qu'elle aborde. J'aime bien ton analyse du titre qui peut effectivement s'interpréter de très nombreuses manières.
Bonne analyse mais j'ai toujours du mal a apprécié le film. Non pas que l'histoire ne soit belle et les interprétations très bien mais il manque quelque chose selon moi...
Il faut dire que j'avais placé la barre assez haute vu toutes les bonnes critiques que j'avais lu. Et pourtant...
Il est un peu sur la même lignée que L’Étrangère de Feo Aladag. Un très beau film qui n'a malheureusement pas eu autant de publicité qu'il aurait dû! Ce film est d'ailleurs devenu mon coup de coeur, je t'invite à venir lire mon article (http://popmovies.blog.free.fr/index.php?post/2011/05/02/Coup-de-coeur%3A-L-Etrangere) et au passage voir la bande annonce.
Dommage qu'il ne soit plus dans les salles, tu aurais pu le voir sinon.
Christophe : J'ai hâte de découvrir le film précédent.
Neil : Oui, le scénario met à mal le spectateur de façon prodigieuse. Cela faisait longtemps que j'avais ressentit une telle catharsis dans une salle de cinéma.
Squizzz : Complexe et complète, oui. Preuve d'un cinéaste en confiance et talentueux.
Cécile : Je n'ai pas vu 'L'Etrangère'. Mais il est vrai que les nombreux éloges dénaturent souvent notre découverte. Moi j'y suis partis vierge de tout avis, et j'ai pris une claque.
Décidément, faut vraiment que je trouve le temps d'y aller !
Enregistrer un commentaire