22 février 2012

Go Go Tales

Ray Ruby est le directeur du Paradise, un cabaret chic de gogo danseuses situé à Manhattan. Mais rien ne va plus pour lui et ses comparses : financièrement, l'établissement tombe en ruine. Tandis que les danseuses menacent de faire grève, Ruby joue le tout pour le tout et décide de vider sa trésorerie dans des tickets de loto.
Il était temps que Go Go Tales trouve enfin le chemin des salles françaises. Présenté hors compétition au Festival de Cannes 2007, depuis le film d'Abel Ferrara s'était perdu dans d'obscures problèmes de distribution. Et au vu de cette production brillante, il aurait été dommage que Go Go Tales ne sorte pas sur les écrans, même cinq ans après. L'enfant terrible des Etats-Unis, figure culte du réalisateur indépendant pour nombre de cinéphiles, offre en effet un film d'apparence mineur (il ne fera sans doute pas date dans la filmographie de son auteur) mais au combien sophistiqué, infiniment libre et – une première – agréablement léger.
Ferrara cloisonne le spectateur dans l'univers nocturne de ce Paradise, paradis des sens de l'homme riche et autres touristes chinois, tantôt au cœur même du spectacle tantôt dans ses coulisses où rien ne va plus. Dans le bureau administratif, un étrange théâtre se déroule : victorieux d'une gigantesque somme au loto, Ruby ne parvient pas à mettre la main sur le précieux ticket. Au bord du gouffre financier, le morceau de papier représente son salut, la poursuite de son rêve. Entre Christopher Walken et Hervey Keitel, Willem Dafoe fait partie de ces gueules cassées qu'on aime tant voir chez Ferrara. Ici en double du cinéaste, il campe un parfait clown triste, tant désespéré qu'éternellement amoureux de son art, le gentleman de ses dames se battant intimement pour la survie de sa création. Du burlesque au raffiné, Ruby fait nager le film entre deux eaux. Go Go Tales flirte avec l'absurde, souvent proche de la screwball comedy (des hot-dogs bios réchauffés au micro-onde !), en offrant de véritables séquences de farces délicieuses. Soliloques hystériques de la propriétaire, machine à UV défectueuse... dans ce chaos général, toutes les excentricités les plus folles sont possibles, jusqu'au lap-dance dénudé d'une Asia Argento qui roule une pelle à son chien.
Mais de l'autre côté du rideau, c'est un cinéma aux plaisirs simples face auquel se retrouve le spectateur. Plaisir illimité de filmer ses acteurs, sa famille, dans l'éternelle utopie du show must go on. Alors que la chute est proche, Ruby prend toujours autant de plaisir à présenter élégamment ses muses ou ses spectacles pittoresques du jeudi soir. C'est un cinéma définitivement assagi que l'on découvre de Ferrara (d'où l'intérêt moyen suscité chez pas mal de critiques) dans lequel le seul plaisir de filmer, d'inonder sa pellicule de lumières néons et de chairs érotiques, est déjà une fin en soi. Avec ses longues respirations sensuelles et ses improvisations, Go Go Tales semble lui-même écrit sur un ticket de loto. Mais peu importe : on aimerait rester le temps de toute une nuit dans ce Paradise éphémère, lieu artificiel où les plaisirs se consomment sans fin, pareils à l'anonymat rassurant d'une salle de cinéma.


Réalisé par Abel Ferrara
Avec Willem Dafoe, Bob Hoskins, Matthew Modine
Film américain, italien | Durée : 1h45
Date de sortie en France : 08 Février 2012

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