29 février 2012

Chronicle

C'est la bonne surprise du début d'année. Sans être exceptionnel, l'air de rien Chronicle est un divertissement agréable et pas si idiot que ça. Pas exceptionnel car ce film de super-héros version teenager ne tend pas vraiment vers la révolution du genre : trois lycéens aux personnalités archétypes (l'introverti martyrisé par son père et ses camarades, le fêtard intellectuel et le franc déconneur) découvrent à la suite d'un étrange phénomène qu'ils ont des super-pouvoirs. Ces personnages aux évolutions caricaturales – le rejeté Andrew sombre dans le pêché d'orgueil – n'étonnent jamais et se moulent dans des modèles établis et pré-assimilés par le spectateur. Le cours de l'histoire n'a en soit que peu d'intérêt, son seul recours étant de créer du spectacle à rebondissements.
Mais ce premier film du réalisateur américain Josh Trank reste toutefois un vrai bon moment. Trank parvient à marier subtilement ces codes populaires à plusieurs originalités intéressantes et qui font définitivement mouche dans un genre marvelisé. Première réussite (qui n'était vraiment pas gagnée) : la pertinence du « found footage ». Si la technique harcèle les écrans du cinéma de genre depuis les succès du Projet Blair Witch ou Cloverfield, ici l'utilisation de la caméra-personnage redevient intéressante. C'est Andrew, le solitaire agressé, qui en est à l'origine : le geste de filmer est pour ce personnage un moyen de fuir la réalité – Peut-être ai-je envie d'une barrière entre moi et le monde, répond-il à son cousin Alex – d'installer un médium protecteur et témoin. Son seul et véritable ami. Le premier plan, face miroir, en est l'illustration visuelle ; en filmant les autres et il ne fait que se filmer lui-même, de sa solitude à ses malheurs. Si pendant un court moment un espoir d'amitié apparaît à la découverte des pouvoirs, le final cruel n'est que l'aboutissement sanglant et empirique de cette situation initiale.
Dans cette optique, il semble bien que Chronicle cherche à aller au-delà de son sujet formel. Dans le vaste environnent des films adolescents, le film de Josh Trank parvient à raconter des choses d'une manière qui lui est propre. Dépendance d'une génération au paraître social via la technologie, le profond désir de faire communauté, de faire la fête ensemble... L'exclusion est au cœur de la rupture qui anime Chronicle : singularité soudaine des trois protagonistes qui s'enferment sur eux-mêmes, et la déchéance de l'un d'eux qui ne peut digérer cette radicale opposition.
Spectaculaire (les effets spéciaux sont une réussite, la caméra flottante) et souvent attachant dans son humour, le film camoufle toutefois plusieurs maladresses (certaines réactions étranges notamment lors du décès, le final Disneyland...). Mais sombre et intelligent, Chronicle possède assez d'atouts pour le conseiller vivement à ses amis.


Réalisé par Josh Trank
Avec Dane DeHaan, Alex Russell, Michael B. Jordan
Film américain, britannique| Durée : 1h24
Date de sortie en France : 22 Février 2012

28 février 2012

La Dame de fer

Attention, c'est brûlant. La Dame de fer fait partie de ces rares films qui auraient dû franchement s'abstenir. Dans la tradition récemment restaurée du biopic, le film suit le parcours de Margaret Thatcher, Première ministre du Royaume-Uni de 1979 à 1990. Pour être plus exact, c'est surtout à la veille femme hallucinée et un tantinet alcoolique à laquelle s'intéresse le film. Ses délires remplacent la madeleine proustienne, et le fleuve biographique commence alors pour le personnage historique. Si l'arnaque est flairée dès les premières minutes, c'est pour mieux laisser durer les longues suivantes qui achèvent en un temps record l'attention du spectateur.
Après la comédie musicale Mamma Mia !, la réalisatrice Phyllida Lloyd tente du mieux qu'elle peut de donner une consistance à son personnage. Chose pré-mâchée pourrait-on penser avec Margaret Thatcher, or, le film prend le parti pris de ne s'attacher qu'à la femme de parcours et non à sa politique. Le film s'appelle La Dame de fer, mais aurait pu tout autant s'appeler La Dame de guimauve. Les flashbacks autour desquels s'articule le film sont la marque des symptômes empiriques de la vieille dame amnésique. Dans cette ironie proche de l'absurde, les actions politiques de l'ex-Première ministre sont présentées à toute vitesse (la mise en scène du conflit des Malouines : plus jamais ça !) lorsqu'elles ne sont pas totalement oubliées. Les images d'archives, anonymes et montées de façon épileptique, brouillent les ambitions du film qui, malgré toute volonté d'impartialité, demeure malgré lui un long-métrage politique. Comment prétendre de cette Dame de fer qu'il n'est qu'un film de portrait lorsqu'il repose sur l'une des figures les plus emblématiques du libéralisme politique ? Bref, le film ne tient pas la route, ni ontologiquement ni politiquement.
Reste alors les qualités purement formelles du film résumées à sa seule actrice. Meryl Streep, géniale, porte une Margaret Thatcher crédible en l'état, et signe une de ses meilleures interprétations. Elle est la pépite d'or dans la vase boueuse : étrange mariage entre la qualité du jeu et la médiocrité de l'entreprise.
Car même dans l'esthétique rien est à grignoter, surtout quand le film prend des allures plagiées au Discours d'un roi (la séquence de l'orthophoniste est une blague). A une époque de crises où le thatchérisme gagnerait en discrétion, ce biopic hagiographique et définitivement de mauvais goût est la boulette du début d'année. Pour se laver les yeux, rien de mieux alors qu'un retour au cinéma anglais engagé à la Ken Loach ou Mike Leigh.


Réalisé par Phyllida Lloyd
Avec Meryl Streep, Jim Broadbent, Susan Brown
Film anglais, français | Durée : 1h44
Date de sortie en France : 15 Février 2012

La Colline aux Coquelicots

Après Les Contes de Terremer, Goro Miyazaki réalise son deuxième long métrage avec le studio Ghibli. Fondé par son père, c'est ce même Hayao Miyazaki qui lui aura donné ses lettres de noblesse à travers des chefs d'œuvre intemporels : Mon voisin Totoro, Princesse Mononoké, Le Voyage de Chihiro, Le Château ambulant... Désormais réputé dans le monde entier, Ghibli est devenue la référence nippone du film d'animation.
Aujourd'hui le studio connait un renouveau générationnel : petit à petit, quelques techniciens succèdent à Hayao Miyazaki dans la réalisation. Après Hirosoma Yonebayashi pour le très bon Arrietty, le petit monde des chapardeurs, le fils du maître Hayao rempile une seconde fois. Malgré les apparences, cette succession n'a rien d'évident, Goro Miyasaki ayant longtemps hésité à suivre la voie de son père. Fâchés sur Les Conte de Terremer, pour La Colline aux Coquelicots père et fils semblent s'être réconciliés puisque c'est Hayao en personne qui signe le scénario de ce nouveau Ghibli.
Il est d'ailleurs beaucoup question d'héritage dans cette nouvelle Colline aux Coquelicots qui s'offre sur les écrans français : le récit est celui d'Umi, une jeune lycéenne, meurtrie par la disparition de son père marin. Au lycée, elle rencontre Shun, un jeune homme séduisant et concerné par les affaires politiques de son établissement. Ils tombent rapidement amoureux l'un de l'autre. Mais en regardant une photo du père défunt d'Umi, Shun, également orphelin, réalise qu'ils pourraient tous deux partager le même père. Goro Miyazaki s'affirme une fois pour toute comme un metteur en scène inspiré. Le film croise plusieurs thèmes familiers aux productions voisines : question du deuil paternel, du pouvoir de la jeunesse sur la politique de son pays (ici reflété par la rénovation du quartier latin du lycée), de l'amour-espoir ; tout ceci sous fond de l'héritage, problématique que connait sans doute très bien le réalisateur.
La réussite de Goro Miyazaki tient en ce qu'il recycle de façon efficace les éléments qui ont fait le succès et la bonne facture du studio : animation splendide, simplicité narrative, Goro Miyazaki retranscrit la vie quotidienne d'une jeunesse (nombreuses scènes de repas, de cuisine, de ménage) tout en la mettant pertinemment en question. Les films d'animation nippons ont cela de beau qu'ils s'offrent aisément à une lecture limpide appréciée des plus jeunes, tout en se faisant le témoin d'une époque, d'une culture, d'une philosophie qui implicitement ne cesse d'interroger l'humain. Si Hayao l'interroge dans son rapport au monde, ici Goro met plus précisément en relief la jeunesse face à son avenir dans un certain idéal moral : prise de conscience et souvenir du passé (la restauration du quartier latin), connaissance de ses origines pour mieux y rendre honneur, à sa manière La Colline aux Coquelicots a trouvé la bonne recette pour combler les attentes du spectateur. Et à Goro Miyazaki de tracer progressivement sa voie en tant que cinéaste, dans les grands sentiers battus de son père.


Réalisé par Goro Miyazaki
Avec Masami Nagasawa, Junichi Okada, Keiko Takeshita
Film japonais | Durée : 1h31
Date de sortie en France : 11 Janvier 2012
>> Ghibli sur le blog : critique d'Arrietty, le petit monde des chapardeurs

Cheval de guerre

L'éternel enfant prodige d'Hollywood n'a pas fini d'inonder les toiles du monde entier avec ses histoires. La petite rejoint à nouveau la grande, ici pour la première fois en pleine Première Guerre Mondiale (seule la Seconde croisait alors les récits de 1941, L'Empire du soleil, La Liste de Schindler et Il faut sauver le soldat Ryan). Dans un campagne anglaise, le jeune Albert, très attaché à son cheval, est obligé de s'en séparer au début de la guerre : l'armée le perquisitionne pour le front. Au cœur des combats, le cheval vit alors un étrange destin qui le conduit entre les mains de soldats britanniques et allemands, et d'un fermier français et sa petite fille.
Après l'adaptation du célèbre Tintin, c'est au roman plus anonyme de Michael Morpurgo que décide de s'attaquer Steven Spielberg. Amour indestructible, périple héroïque qui revisite un événement célèbre de l'Histoire... il ne faut pas chercher très loin pour comprendre ce qui a pu séduire le cinéaste américain dans cette épopée. Mais loin s'en faut de critiquer cette poursuite, Spielberg est au contraire prodige dans le grand spectacle populaire : mariant comme nul autre son talent de mise en scène avec des blockbusters de gros calibre, le réalisateur a depuis longtemps montrer l'étendu de son savoir-faire. Une fois encore, on ne peut qu'être ébahi devant ce spectacle à l'élégance folle, sublimé par la photographie de Janusz Kaminski. Décors somptueux, précision du cadre, fluidité du scénario fleuve ; Cheval de guerre n'est pas le film du début de la fin pour Spielberg qui, comme son cheval Joey, continue infatigablement de galoper dans une liberté totale.
Malgré sa durée, Cheval de guerre est parfaitement calibré pour le grand public. Il l'est d'autant plus que Spielberg assume sans concession un mélodrame exacerbé et revendiqué dans la veine du grand classicisme hollywoodien. Mais si la beauté du film épate une fois encore dans sa simplicité déroutante à faire voyager le spectateur, reste que Cheval de guerre trouve parfois ses limites dans plusieurs mièvreries de passage (la ferme française, les nombreux archétypes du genre). Si bien que considérer le film comme l'un des grands de son auteur serait omettre les facilités déconcertantes du récit – on en devine les issues et les ressorts à chaque fois – qui donne alors la part belle à une émotion débordante, surenchéri par la musique de Williams. Attendre de Cheval de guerre le témoignage de La Liste de Schindler ou l'amour fou du chef d'œuvre E.T. L'extra-terrestre reste alors un leurre. D'une certaine manière, ce n'est pas ce qui semble intéresser Spielberg qui, dans un plaisir communicatif, s'évertue à donner corps et âme à une belle histoire, aussi naïve soit-elle. A l'image de la magnifique séquence de fin toute en sépia et contre-jour, on continue de rêver à yeux ouverts. Mais au réveil, un vague souvenir d'avoir fait de plus beaux songes.


Réalisé par Steven Spielberg
Avec Jeremy Irvine, Emily Watson, Peter Mullan
Film américain | Durée : 2h27
Date de sortie en France : 22 Février 2012

22 février 2012

Go Go Tales

Ray Ruby est le directeur du Paradise, un cabaret chic de gogo danseuses situé à Manhattan. Mais rien ne va plus pour lui et ses comparses : financièrement, l'établissement tombe en ruine. Tandis que les danseuses menacent de faire grève, Ruby joue le tout pour le tout et décide de vider sa trésorerie dans des tickets de loto.
Il était temps que Go Go Tales trouve enfin le chemin des salles françaises. Présenté hors compétition au Festival de Cannes 2007, depuis le film d'Abel Ferrara s'était perdu dans d'obscures problèmes de distribution. Et au vu de cette production brillante, il aurait été dommage que Go Go Tales ne sorte pas sur les écrans, même cinq ans après. L'enfant terrible des Etats-Unis, figure culte du réalisateur indépendant pour nombre de cinéphiles, offre en effet un film d'apparence mineur (il ne fera sans doute pas date dans la filmographie de son auteur) mais au combien sophistiqué, infiniment libre et – une première – agréablement léger.
Ferrara cloisonne le spectateur dans l'univers nocturne de ce Paradise, paradis des sens de l'homme riche et autres touristes chinois, tantôt au cœur même du spectacle tantôt dans ses coulisses où rien ne va plus. Dans le bureau administratif, un étrange théâtre se déroule : victorieux d'une gigantesque somme au loto, Ruby ne parvient pas à mettre la main sur le précieux ticket. Au bord du gouffre financier, le morceau de papier représente son salut, la poursuite de son rêve. Entre Christopher Walken et Hervey Keitel, Willem Dafoe fait partie de ces gueules cassées qu'on aime tant voir chez Ferrara. Ici en double du cinéaste, il campe un parfait clown triste, tant désespéré qu'éternellement amoureux de son art, le gentleman de ses dames se battant intimement pour la survie de sa création. Du burlesque au raffiné, Ruby fait nager le film entre deux eaux. Go Go Tales flirte avec l'absurde, souvent proche de la screwball comedy (des hot-dogs bios réchauffés au micro-onde !), en offrant de véritables séquences de farces délicieuses. Soliloques hystériques de la propriétaire, machine à UV défectueuse... dans ce chaos général, toutes les excentricités les plus folles sont possibles, jusqu'au lap-dance dénudé d'une Asia Argento qui roule une pelle à son chien.
Mais de l'autre côté du rideau, c'est un cinéma aux plaisirs simples face auquel se retrouve le spectateur. Plaisir illimité de filmer ses acteurs, sa famille, dans l'éternelle utopie du show must go on. Alors que la chute est proche, Ruby prend toujours autant de plaisir à présenter élégamment ses muses ou ses spectacles pittoresques du jeudi soir. C'est un cinéma définitivement assagi que l'on découvre de Ferrara (d'où l'intérêt moyen suscité chez pas mal de critiques) dans lequel le seul plaisir de filmer, d'inonder sa pellicule de lumières néons et de chairs érotiques, est déjà une fin en soi. Avec ses longues respirations sensuelles et ses improvisations, Go Go Tales semble lui-même écrit sur un ticket de loto. Mais peu importe : on aimerait rester le temps de toute une nuit dans ce Paradise éphémère, lieu artificiel où les plaisirs se consomment sans fin, pareils à l'anonymat rassurant d'une salle de cinéma.


Réalisé par Abel Ferrara
Avec Willem Dafoe, Bob Hoskins, Matthew Modine
Film américain, italien | Durée : 1h45
Date de sortie en France : 08 Février 2012

19 février 2012

[jeu] De quel film est tiré cette photo ? #1

Allez, j'inaugure pour le plaisir une petite activité hebdomadaire ! Inspiré par d'autres blogueurs, je trouve en effet sympa l'idée de jouer un peu avec les connaissances de chacun :] .
Le but est simple : trouver le titre du film dont l'image ci-dessous est tirée.
Le premier à trouver la réponse totalise un point. Et on se retrouve chaque dimanche pour un nouveau tour. Prêt ? :)

Un facile pour commencer...

À vous de jouer !

~> La réponse a été trouvée par Squizzz : Eyes Wide Shut de Stanley Kubrick (1998)

Classement :
1pt : Squizzz

17 février 2012

La Taupe

En pleine guerre froide, les services secrets sont en alerte. Smiley, un agent fraîchement en retraite, est réengagé afin de débusquer la taupe qui se cache dans les plus hautes sphères du MI6. Quel est cet agent double soviétique qui trahit tout le monde depuis le début ? Accompagné par le jeune agent Guillam, l'enquête commence pour Smiley au cœur de ses anciens collègues de guerre.
Le film est l'adaptation du livre de John Le Carré, le premier volet d'une trilogie amenée par l'espion George Smiley. Derrière la caméra, le réalisateur suédois Tomas Alfredson fait ses premiers pas en Angleterre après le chef d'œuvre Morse en 2009. Auréolé par une presse quasiment unanime, La Taupe est un nouveau succès critique pour le cinéaste.
Les qualités du film sont évidentes. Dès les premiers plans, le spectateur est très vite subjugué par la beauté plastique de l'image : le cadrage précis et rigide accompagne une photographie proche de la perfection, tant lorsqu'elle baigne dans le clair obscur que lorsqu'elle se remplit paradoxalement de vide dans la singularité de certains décors (la salle de réunion). Économe dans ses mouvements d'appareil, la mise en scène technique mise beaucoup sur la composition. C'est en ce sens une véritable réussite pour le chef opérateur de Morse, Hoyte Van Hoytema. Froid, le film l'est tout entier de par son atmosphère : Smiley, interprété par un Gary Oldman étonnant, est lui aussi vampirisé, statique mais sans cesse dans la lucidité. La forme est évidemment très liée à son époque historique. Glaciale dans ses rapports humains et sous tendue dans ses menaces conflictuelles, Alfredson montre avec habileté la légitimité de son style dans ce polar anglais. Le casting savoureux, quoi qu'exagérément masculin, offre au film la noblesse attendue. Colin Firth, Mark Strong, John Hurt, David Dencik (extraordinaire dans la séquence de l'avion) se présentent à contre emploi, tous convaincants dans cet univers surprenant et exigeant.
L'exigence, justement. Impossible de ne pas l'évoquer tant elle semble être un parti pris radical... et radicalement discutable. Disons-le clairement : on ne comprend parfois pas grand chose du film dans sa structure labyrinthique. Avare dans les explications et la clarté, Alfredson perd littéralement son spectateur dès les premières minutes, mais c'est surtout au stade fatidique de l'heure passée que l'enquête atteint une complexité étouffante. Rarement attractif, La Taupe souffre royalement de lisibilité tant le film s'aventure dans un échafaudage chaotique. Et si le fond du processus n'est pas dénué d'intérêt (le monde d'après-guerre est présenté lui-même comme chaotique), reste qu'en pratique l'expérience trouve rapidement ses limites dans le genre du polar. La mise en scène d'Alfredson rappelle d'ailleurs dans certains aspects celle d'Howard Hawks dans l'adaptation du Grand sommeil, sans pour autant trouver le même équilibre fragile et ingénieux.
A la hauteur d'un grand film mais en cruel manque d'appels d'air, La Taupe n'est ni le chef d'œuvre annoncé ni la bouse portée en triomphe. Entre les deux, le film d'Alfredson a le goût des frustrations les plus acides. Mieux vaut alors étancher sa soif avec la bombe Millenium.


Réalisé par Tomas Alfredson
Avec Gary Oldman, Mark Strong, John Hurt
Film britannique | Durée : 2h07
Date de sortie en France : 08 Février 2012

6 février 2012

Sherlock Holmes 2 : Jeu d'ombres

Sherlock Holmes, le détective le plus en vogue du XIXème siècle, est une fois encore sur un grand coup : alors que des meurtres et des attentats en tout genre surviennent à travers le monde, l'enquêteur finit rapidement par trouver leur point commun. Toujours accompagné du fidèle docteur Watson, Holmes part à la recherche du professeur James Moriarty, un redoutable criminel qui souhaite déclencher une guerre mondiale pour y trouver fortune.
Après un bon premier volet, la machine commence malheureusement ici à rouiller. Pourtant l'équipe est au complet : Guy Ritchie, notamment réalisateur d'Arnaques, crimes et botanique et Snatch, dirige à nouveau Robert Downey Jr. et Jude Law. Machine rouillée, mais rodée : esthétisme bluffant, rythme à cent à l'heure, rimes visuelles surprenantes, et surtout l'humour décalé permettent à ce Sherlock Holmes 2 de rester un bon divertissement. Avec Downey Jr., Ritchie est parvenu à donner un charisme tapageur au personnage de Conan Doyle pour que ce dernier passe l'étape de l'adaptation. L'acteur, à l'aise plus que jamais dans l'exercice, est une fois encore brillant.
Car c'est bien dans ses écarts burlesques que le blockbuster se veut le plus savoureux. Et ils se font un peu plus rares dans ce Jeu d'ombres qui donne surtout la part belle aux effets numériques, qui lassent à défaut de s'avérer ponctuellement superbes (la séquence de la forêt). Le soucis du grand spectacle hante tout le film, si bien que la pauvreté des séquences d'action pure est maladroitement comblée par la surenchère technique.
Mais le principal problème de cette suite trouve sans aucun doute ses origines dans un scénario alambiqué, labyrinthique, qui complexifie à outrance son intrigue dans la première heure. Autant le dire, c'est parfois à ne rien y comprendre. Si le parti pris est d'embrouiller le spectateur jusqu'à la reconstruction d'Holmes, force est de constater que l'on s'ennuie rapidement dans ce panache de crises ininterrompues et pétaradantes.
Observateurs d'une partie d'échecs alors que l'on ne connaît pas toutes les règles et les enjeux du jeu, le spectacle ravira certainement les amateurs de machinations. Autrement, Sherlock Holmes 2 reste quelque peu décevant en voulant à tort se plier coûte que coûte au mainstream du gros budget. En résulte alors un film toujours divertissant dans son originalité, mais qui s'obstine ici à vouloir chausser une trop grande pantoufle.


Réalisé par Guy Ritchie
Avec Robert Downey Jr., Jude Law, Noomi Rapace
Film américain | Durée : 2h07
Date de sortie en France : 25 Janvier 2012

5 février 2012

Les Chants de Mandrin

Louis Mandrin, célèbre hors-la-loi et héros populaire du milieu du XVIIIème siècle, est mort. Ses compagnons poursuivent alors le combat du contrebandier en vendant divers produits dans des marchés sauvages, récitant et chantant la vie glorieuse de leur héros politique désormais défunt.
C'est le postulat de départ du quatrième film de Rabah Ameur-Zaïmeche. Posant sa caméra dans divers environnements qui lui sont familiers (la banlieue, l'Algérie) et désormais dans différentes époques (c'est son premier film historique), le cinéaste a su trouver une critique fidèle au détriment du grand public. Prix Jean Vigo en 2011, Les Chants de Mandrin confirme cette double tendance bien connue des cinémas les plus exigeants.
Le film, comme la considération déjà acquise de son cinéaste, n'est pas une imposture : photographie travaillée, respirations enivrantes (le paysage, l'émerveillement quasi enfantin devant une entreprise d'imprimerie, le dernier plan énigmatique), le spectateur fait face à l’œuvre d'un auteur complet – producteur, scénariste, réalisateur – absolument libre dans la manipulation de son médium. Résultat, Les Chants de Mandrin fait côtoyer singulièrement la poésie avec la politique et surtout s'impose rapidement comme un témoignage avoué de notre époque contemporaine. Ameur-Zaïmeche utilise le genre historique comme un théâtre de marionnettes et parfois même comme un jeu dans les séquences de bataille. Il n'est qu'un prétexte, un plaisir de cinéma qui vient contreplaquer les réelles ambitions du film : brûlot contre la censure des gouvernements, nécessité de l'art dans des sociétés aseptisés, derrière les apparences Les Chants de Mandrin ne parle que de notre époque. En bon élève de Godard disant que l'on ne filme que le présent se déroulant devant la caméra, Ameur-Zaïmeche propose ainsi un film singulier, pauvre économiquement mais au propos intact.
Mais une fois ce travail de bonne lecture accompli, qu'en reste t-il vraiment autour ? Autant le dire, Les Chants de Mandrin est un pure acte cérébral, souvent ennuyant lorsque son approche théorique est assimilée. Si le genre historique n'est qu'un prétexte, l'anachronisme est sans importance ; difficile tout de même de rester véritablement tolérant devant nombre d'invraisemblances (costumes, fusils, décors, langage...) qui piquent les yeux du spectateur lorsque son attention s'égare. Et elle s'égare souvent devant l'excentricité de ce style, notamment due à des performances d'acteur douteuses qui frisent – il faut le dire – parfois la médiocrité.
Alors si dans sa cinématographie poétique Les Chants de Mandrin harmonisent joliment l'Histoire à la politique actuelle, le film reste un objet intellectuel réservé aux intéressés, jamais vraiment imposant, jamais franchement passionnant non plus.


Réalisé par Rabah Ameur-Zaïmeche
Avec Jacques Nolot, Christian Milia-Darmezin, Kenji Levan
Film français | Durée : 1h37
Date de sortie en France : 25 Janvier 2012

Twitter Delicious Facebook Digg Stumbleupon Favorites More

 
PBTemplates pour le design | Merci de me contacter avant toute utilisation du contenu de ce blog