J. Edgar Hoover fut le directeur du FBI pendant près de cinquante ans. Incarnation de la justice criminelle et de l'innovation scientifique, l'homme n'est pas seulement la figure qu'il représente dans l'Histoire des Etats-Unis : Clint Eastwood s'attache pendant les deux-heures et quart du film à tracer la personnalité de cet homme, ses refoulements et ses émotions. Après son diptyque guerrier ou le parcours de Nelson Mandela dans Invinctus, l'Histoire s'impose de nouveau dans la filmographie récente d'Eastwood. Le réalisateur des éternels Million Dollar Baby, Sur la route de Madison ou Mystic River ne cesse de gagner en maturité de vie, tant en philosophie que dans œuvre. Son regard sur le passé hante de plus en plus ses films, comme le reflet de ses propres angoisses. Si le résultat n'est pas toujours à la hauteur (le dernier gros plantage d'Au-delà), J. Edgar impose un savoir-faire évident, presque sûr de lui-même. Photographie terne au clair-obscur saisissant, belle reconstitution historique, dialogues affinés... le biopic gage une qualité de forme indéniable. Qui dit potentiel de réalisation appelle potentiel de casting. Le point revient alors à Leornardo DiCaprio, habité par son personnage, qui, dans la finesse de son jeu, rend parfaitement hommage à la perfection du maquillage. Le film donne à raison le beau rôle à cette personnalité historique peu connue, à l'ambiguïté et à la force de caractère véritablement compatibles avec le cinéma.
Mais si J. Edgar se regarde avec curiosité et, possiblement, admiration, ca serait certainement jouer la clémence sur la structure bancale du film, trop peu orientée et finalement peu attractive. Dustin Lance Black, le scénariste d'Harvey Milk, articule le récit dans des allers-retours entre passé et présent qui donnent le tournis à défaut de trouver le bon rythme. Car malgré cette prise de risque, le schéma reste banal, et se cantonne à une écriture en flashbacks successifs. Mais il manque surtout de l'âme pour que l'initiation passionne un peu plus. Si les érudits d'Histoire se régaleront du voyage dans le temps, les non-initiés peineront à trouver leur marque et de quoi se mettre sous la dent. Le sujet est excellent mais Eastwood opte pour une sobriété hyperbolique, peu aimable, à l'esthétisme abouti mais à la froideur peu attractive. La voix-off ou les coulis de piano aux moments cruciaux ne parviennent pas à donner corps à ce film qui semble finalement fait avec talent au détriment du cœur.
Il y a tout de même une sensibilité pudique qui vient accompagner les meilleures séquences du film (la dispute à l'hôtel, Edgar dans la robe de sa mère devant le miroir, la mort finale) qui, en camouflant le pathos comme Hoover dissimulait ses sentiments au service de son image, donne à J. Edgar une sensibilité à laquelle on ne s'attendait pas. C'est en prenant son spectateur de cours dans l'émotion qu'Eastwood parvient à tout à fait convaincre. Tout autour, reste un biopic léché beaucoup moins surprenant, qu'on aurait aimé puissant là où il ne fait qu'attiser la curiosité.
Réalisé par Clint Eastwood
Avec Leonardo DiCaprio, Naomi Watts, Armie Hammer
Film américain | Durée : 2h15
Date de sortie en France : 11 Janvier 2012
19 janvier 2012
J. Edgar
19:39
Jérémy
8 avis gentiment partagé(s):
Comme Brad Pitt, à mon humble avis Leonardo di Caprio joue de mieux en mieux au fil du temps et c'est un acteur qui se bonifie comme un bon vin.
Je n'ai pas vu ce film, donc une fois de plus désolé, je n'ai rien de consistant à t'apporter si ce n'est que mon amitié cinéphilique.
Passe une bonne soirée.
Complètement d'accord. Gros problème dans la structure du récit. Je sort de Millenium. Je pensais que cette nouvelle adaptation était un peu inutile. Eh bien non, un scénraio incroyablement limide, tout le contraire de J Edgar... Et étant historien de formation (mais pas spécialiste de l'Amérique), cela ne m'a pas pour autant parlé...
Je ne dirais pas qu'il est "fait avec talent au détriment du cœur", car je pense qu'Eastwood y a mis du cœur. Mais le problème tient essentiellement au scénario, imbuvable par ses flashbacks, et trop obscur pour qui ne s'y connait pas un peu en Histoire américaine. Du coup je me suis justement réfugié dans la partie du cœur, celle de la vie personnelle d'Edgar qui est elle bien rendue.
Pas d'accord, la superposition passé/présent se confond dans une timeline unique (l'ascenseur) et confère au personnage une psychologie et une inaliénabilité rare. Un bon film.
Jacques-Henry Jacquart : Di Caprio et Pitt sont deux talentueux acteurs qui ne cessent, derrière leur masque de star c'est vrai, de faire évoluer leur maturité de jeu à travers des choix souvent judicieux.
Christophe : C'est un beau cinéma... qui me laisse personnellement de marbre.
Squizzz : L'expression est sans doute un peu dure. Disons que j'ai l'impression qu'Eastwood a du mal dans ses derniers films à mesurer l'émotion. L'exacerbé 'Au-delà' en a été le triste point culminant. Dans 'J. Edgar' la forme est évidemment très différente. Néanmoins, je trouve ici et là encore quelques facilités, quelques classicismes convenus qui ont du mal à me convaincre en tant que spectateur (la musique, le regard vide...). Mais dans 'J. Edgar' je trouve que ces lacunes croisent quelques merveilles : la dispute, la découverte du corps... De façon générale la romance est assez bien traitée, notamment dans sa pudeur adéquate avec le personnage. Mais pour moi ca reste tout de même éloigné du génie que certains clament encore.
Flow : L'ascenseur ?
J'ai été happé par ce film. Passionnant à suivre, malgré comme tu le soulignes des allers-retours qui sont parfois confus. L'éclairage donné sur le personnage s'oriente clairement vers l'homme et non la façade publique, rendant humain un monstre, dépeignant un avant-gardiste dépassé par la réalité. Ce portrait touchant (voir très émouvant par moment) manque cependant un peu de noirceur. Du reste, la réalisation d'Eastwood se rapproche de celle de l'Echange (couleurs ternes, clair-obscur, etc).
La réalisation classique d'Eastwood est en effet très belle. Mes reproches tendent plutôt sur la structure sur laquelle j'ai des réserves.
Mais sans doute que le sujet m'a tout simplement moins passionné qu'à d'autres (je ne trouve pas ce Hoover formidable d'intérêt).
Par contre l'émotion est parfois bien sentie, c'est vrai.
Je ne comprends pas pourquoi Leo n'a pas eu une nomination aux Oscars pour ce rôle ? C'est comme Ryan Gosling ignoré pour Drive ou Michael Fassbender dans Shame. Je ne pige pas.
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